Extraits pertinents

 

OPINION DU JUGE GENDREAU

 

Si l'enregistrement audio est une technique fiable, il remplace même les sténographes officiels dans les palais de justice, son utilisation est sujette et propice à tous les abus. La machine audio ou vidéo est soumise à son opérateur. Plus il sera habile et plus son équipement sera sophistiqué, plus il lui sera possible de truquer l'enregistrement ou, plus subtilement, de donner à un aspect ou à une partie de l'entretien un relief qu'il n'avait pas en réalité. Un autre groupe de problèmes se rattache à la conservation du document et sa toujours possible altération qui, si elle est faite par un technicien compétent et bien outillé, sera difficilement décelable.

 

Aussi, la production d'un enregistrement mécanique impose à celui qui la recherche, la preuve d'abord de l'identité des locuteurs, ensuite que le document est parfaitement authentique, intégral, inaltéré et fiable et enfin que les propos sont suffisamment audibles et intelligibles. Les conséquences d'une erreur dans l'appréciation du document subséquemment admis en preuve sont si importantes que le juge doit être «entièrement convaincu», pour reprendre les mots du juge Pinard dans Hercy c. Hercy (déjà cité). Cette conviction n'est certes pas régie par la règle du droit criminel; mais le juge devra ici exercer sa discrétion avec une grande rigueur.

 

Sans proposer de règles ou normes précises, laissant aux plaideurs le soin de faire leur démonstration, la preuve du requérant devrait néanmoins être conduite de manière à entraîner une réponse affirmative aux critères que j'ai énumérés plus tôt. Quant à celui à qui on oppose ce moyen de preuve, il devrait lui être possible, s'il le demande, d'obtenir le document pour l'examiner personnellement ou avec l'aide d'experts. Il appartiendra alors au juge de définir les conditions de cet examen afin d'éviter toute altération.

 

J'ajoute aussi que même si un document contenant une conversation rencontre les critères que j'ai énumérés, il pourra encore être écarté parce que non probant. Sans examiner la question à fond, puisqu'elle ne se pose pas ici, du moins pas encore, je signale qu'il est concevable qu'une partie n'enregistre qu'un ou quelques entretiens portant sur la même négociation ou, les ayant tous enregistrés, n'utilise que celui lui convenant, détruisant tous les autres. Il pourrait aussi arriver que l'on conçoive l'entretien pour provoquer ce qui pourrait être ensuite interprété comme un aveu. Au surplus, même en excluant ces situations plus exceptionnelles et quelqu'authentique, complet et fiable que soit l'enregistrement, il n'en demeure pas moins que parce que les propos sont secrètement recueillis, la position de l'opérateur-interlocuteur est nettement avantagée. Il peut même inconsciemment moduler son attitude, ayant à l'esprit qu'il pourra un jour être entendu. Aussi, les questions, les réponses, les affirmations, les négations, les silences pourront-ils être dirigés et contrôlés vers son objectif; car il sait qu'il se constitue une arme, ce que son interlocuteur ignore, dont il décidera seul de l'usage en fonction de ses seuls intérêts.

 

Enfin, il convient de rappeler que l'enregistrement n'est pas un écrit. La jurisprudence comme la doctrine le traite généralement comme un commencement de preuve par écrit[8]. Il n'est pas non plus un témoignage. Ce procédé est incompatible avec la notion de témoin, cette personne interrogée sous serment et contradictoirement, hors Cour ou devant le juge du procès, pour attester de faits à sa connaissance personnelle et objets du débat judiciaire. Je suis d'accord avec le professeur Royer lorsqu'il affirme juridiquement plus fondé «le courant jurisprudentiel qui considère l'enregistrement sonore comme un procédé autonome et distinct de la preuve écrite ou testimoniale[9].


Dernière modification : le 4 mai 2012 à 12 h 30 min.