Sentence arbitrale interlocutoire

[1]  L’arbitre soussigné a été mandaté le 24 janvier 2013  pour entendre les griefs mentionnés en titre;

[2]  L’audience a été fixé et tenue le 30 avril 2013, à Québec;

[3]  Depuis ce jour, les parties ont procédé à 6 journées complètes d’audience dans la présente affaire; trois autres journées ont été annulées pour des motifs justifiés; et quatre autres journées d’audience sont prévues les 2 octobre 2014, 7 octobre 2014, 17 février 2015 et le 27 mars 2015;

[4]  Lors de la dernière audience du 16 avril 2014, le syndicat a présenté une requête demandant de produire les fichiers électroniques originaux des photographies déposées en preuve par la commission;

[5]  Les arguments écrits du syndicat ont été produits vers le 16 mai 2014;

[6]  Les arguments écrits de la commission ont été produits vers le 7 juin 2014;

[7]  Suite aux communications subséquentes du soussigné les parties ont déclaré leurs arguments complets vers la fin juin 2014, et la contestation de l’assignation de production de documents a été prise en délibéré le 3 juillet 2014;

[8]  Les prochaines audiences sont fixées pour les 2 octobre, 7 octobre 2014, 17 février et 27 mars 2015;

[9]  La requête du syndicat vise des photographies, au nombre de 50, incluant celles relatives au doit de refus exercé par monsieur Doyon, qui  ont été produites au soutien de chacune des mesures de suspension prises à l’endroit du plaignant sous les cotes C-2, C-3 et C-4, elles ont été prises en 2010 et 2011; elles démontrent des erreurs de conception ou de réalisation par monsieur Doyon, en plus que de soutenir des erreurs d’opérations par monsieur Doyon de certains équipements existants, et de non-respect des consignes de travail;

[10]  Suite à des discussions entre les parties, mais, non, devant l’arbitre, le syndicat affirme qu’il avait l’impression que les fichiers  informatiques soutenant les photographies mises en preuve seraient présentés; ce que la commission réfute;

[11]  La commission réfute cette allégation et affirme que son engagement consistait à ce que la présentation de ces photographies serait  toujours accompagnée d’un témoin compétent pour établir de façon suffisante leur authenticité; en l’occurrence le témoin compétent est déjà à la table des témoins pour assurer cet engagement, soit monsieur André Gauthier; au surplus, d’autres témoins ont déjà reconnu ces photographies, soit madame Marie-Josée Fecteau et monsieur François Coulombe;

[12]  Nonobstant cela, le syndicat insiste pour que les fichiers informatiques soutenant ces photographies soient déposés en preuve; la commission s’y oppose;

Arguments

[13]  Au soutien de sa requête, le syndicat invoque la règle de la meilleure preuve, ainsi que celle de la pertinence en lien avec le litige;

[14]  Selon le syndicat, sa demande vise plus la procédure que le fond,  i.e. de   déterminer la date des photographies en cause;

[15]  Aucun argument de déformation, modification ou manipulation incorrecte, de même qu’aucun argument d’avoir fraudé ou manipulé les photographies n’a été invoqué par le syndicat;

[16]  Le syndicat ne prétend donc à aucune fraude ou manœuvre dolosive;

[17]  Le syndicat s’appuie sur la décision de la Cour du Québec dans l’affaire Sécurité des Deux-Rives Ltée et Groupe Meridian construction restauration inc., 2013 QCCQ 1301 (CanLII);

[18]  La commission réagit en présentant ce qui peut s’assimiler à une requête en cassation d’une assignation à comparaitre duces tecum en alléguant que les photographies en litige ont déjà été produites et reconnues par des témoins compétents, selon les articles 2854 et suivants du Code civil du Québec, soit le plaignant lui-même, madame Marie-Josée Fecteau, monsieur François Coulombe, et monsieur André Gauthier, supérieur immédiat de monsieur Doyon et auteur des photographies en litige, est présentement interrogé devant l’arbitre;

[19]  La commission souligne également que les fichiers en cause ne constituent pas un document existant, c’est-à-dire qu’il faut le constituer, et que cela est contraire aux dispositions de la Loi sur l’Accès à l’information, quoi que cela ne constitue pas son argument principal;

[20]  La commission affirme  que la règle habituelle à l’effet que la preuve matérielle d’un fait présenté par des photographies constitue un moyen de preuve au même titre que l’écrit ou le témoignage;

[21]  Ces photographies participent à démontrer les reproches adressés  au plaignant; et selon la commission, elles sont des documents écrits émanant de technologies de l’information et reproduits en copie papier;

[22]  Également, en aucun temps, le syndicat n’a mis en preuve quelque élément qui permette à l’arbitre d’avoir un doute quant à l’intégrité des photographies produites à titre d’élément matériel, ni même quant aux propos des témoins,  à ce jour, à ce sujet;

[23]  La commission estime donc qu’il est inutile et contraire aux règles de droit d’ordonner la production d’une copie par voie électronique des fichiers originaux en question;

Décision

[24]  Le fond du litige qui nous est soumis par les griefs en titre porte sur l’appréciation de la capacité ou la compétence  de monsieur Doyon d’exécuter correctement ou non les tâches d’ouvrier certifié d’entretien qui lui sont confiées;

[25]  La requête qui nous est soumise par le syndicat et contestée par la commission recherche la production des fichiers électroniques des quelques 42 photographies prises, sur une période de 2ans, de certains travaux exécutés par monsieur Doyon  qui sont reprochés par la commission;

[26]  L’arbitre souligne, qu’à ce stade des audiences, de nombreux reproches d’exécution de travaux incorrects sont faits à monsieur Doyon sans pour autant impliquer la production des dites photographies et de leurs fichiers électroniques; il ne s’agit donc que d’une partie de la preuve déjà présentée et à être complétée lors des prochaines audiences;

[27]  Le litige qui nous est soumis ne s’articule donc pas autour de la seule reconnaissance, identification ou date des photographies soumises par la commission pour démontrer les allégations d’incompétence ou d’incapacité de monsieur Doyon;

[28]  Tout l’argument du syndicat repose sur la portée qu’il faut donner à la décision de la Cour du Québec dans l’affaire Sécurité des Deux-Rives Ltée;

[29]  L’arbitre attire l’attention des parties sur le paragraphe 41 de cette décision qui déclare :

«[41]  Dans un premier temps, le Tribunal considère que le document litigieux ne révèle pas uniquement un fait juridique, mais plutôt un acte juridique, soit la résiliation d’un contrat au sens des articles 2125 et 2129 C.c.Q

(nos soullignés)

[30]  Dans notre cas, il s’agit de faits juridiques dont on veut faire la preuve, tant par des témoins que des écrits et des photographies; il ne s’agit pas d’actes juridiques;

[31]  Dans le cas d’un acte juridique, il faut certes prouver cet acte par la production de l’original ou d’une copie qui en  tient lieu légalement, (art.2860 al, 1 Q.c.Q,);

[32]  Également, dans notre cas, il ne s’agit pas non plus de faire la preuve d’un acte sous seing privé;

[33]  Dans notre cas, il s’agit de faire la preuve de faits potentiellement juridiques, soit établir la date des photographies selon le syndicat; l’intégrité desdites photographies n’est pas remise en cause;

[34]  De l’avis du soussigné, le fait d’alléguer une mauvaise construction d’une tablette ou du mauvais emplacement d’affiches ou adresses à des entrées de l’école ne saurait exiger une preuve d’intégrité liée à un acte juridique; une preuve testimoniale suffit, surtout, si, elle est reconnue par le plaignant et d’autres témoins, et encore plus, si, elle est appuyée d’une démonstration factuelle, photographique, vidéo, diagramme et plan, et fiches de travail;

[35]  Le syndicat ne met pas en doute que le support utilisé, les photographies, ne permet pas d’assurer l’intégrité de celles-ci, on revendique la recherche d’une date;  le soussigné est d’avis que les témoins et les fiches de travail peuvent apporter la réponse à cette question;

[36]  Tel que déjà mentionné, le syndicat n’allègue pas une déformation, fraude ou quelque atteinte à l’intégrité des photographies déposées;

[37]  L’arbitre fait sien les propos mentionnés aux paragraphes 74 et 75 de l’affaire Sécurité des Deux-Rives :

«[74]  La présomption d’authenticité ou d’intégrité viserait le document numérique lui-même, et non le document papier fabriqué pour prouver son contenu.

[75]  En l’occurrence, le document soumis constitue bel et bien une copie ou le transfert d’un document.»

[38]  De l’avis du soussigné, le témoin Gauthier, qui est déjà devant l’arbitre pourra attester des faits et dates entourant les fiches de travail confiées à monsieur Doyon et aux photographies y relatives, de même qu’à toutes autres questions du syndicat;

[39]  En l’occurrence, l’arbitre est d’avis que la jurisprudence soumise par le syndicat au soutien de sa requête est inapplicable;

[40]  Les règles applicables en matière d’émission de subpoena  duces tecum telles que développées par la jurisprudence et la doctrine sont bien énoncées par les auteurs Denis Ferland et Benoit Emery dans leur ouvrage Précis de procédure  civile du Québec, Les Éditions Yvon Blais inc, vol. 1, 3e édition, 1997, pages 335 et 336, sont les suivantes :

  1.   le document doit exister;
  2.   le document ne doit pas être déjà en la possession de la partie qui le demande;
  3.   le document doit se rapporter au litige.  Il s’agit du critère de pertinence;
  4.   le document doit non seulement être pertinent mais il ne doit pas simplement constituer une source de renseignements.  En somme, l’écrit doit constituer une preuve en soi;
  5.   le document doit être écrit de façon suffisamment détaillé.  Ainsi, l’assignation ne doit pas constituer une «partie de pêche»;
  6.   le document ne doit pas être confidentiel ni privilégié bien que, dans certains cas exceptionnels, l’assignation pourra être autorisée si le tribunal estime que le document est pertinent et que des mesures peuvent être prises pour qu’il ne soit pas divulgué publiquement;
  7.   la demande ne doit pas être déraisonnable eu égard au nombre de documents requis et à la période couverte;
  8.   la demande ne doit pas être abusive ni dans le but de harceler le témoin;
  9.   la demande ne doit pas constituer une mesure dilatoire;
  10.                     une partie ne peut obtenir des documents difficiles ou impossibles à retracer pour le témoin.  La personne interrogée est là pour témoigner de ce qu’elle sait ou pour communiquer un document existant  dont elle a le contrôle immédiat et non pour colliger des informations ni rédiger ou préparer un document.»; (nos soulignés);

[41]  L’arbitre Claude Martin ans l’affaire CSSS DE LA VALLÉE-DE-LA-GATINEAU du 15 février 2012, 2012 CanLII 16005 (QC SAT)déclare à la page 11 de sa décision, que :

«[29]  Enfin, le subpoena ne peut être délivré s’il a pour objet de permettre à une partie d’obtenir des documents  qui confirmeront possiblement, ce qu’elle avance. Les documents recherchés doivent servir à prouver un fait et non pas à étayer une supposition. La doctrine et la jurisprudence, quelqu’en soit la source, s’entendent : le subpoena duces tecum ne peut être le prétexte d’une partie de pêche.»;

[42]  L’arbitre soussigné reprend les différents critères des auteurs Ferland et Emery ainsi que les propos de l’arbitre Martin dans les ouvrages et jurisprudence précitée;

[43]  L’arbitre soussigné insiste sur les critères suivants : -critère 4, le document ne doit pas constituer une source de renseignements,

- critère 5, il ne doit pas s’agir d’une partie de pêche, -critère 9, il ne doit pas s’agir d’un moyen dilatoire;  nous  ajoutons également que le caractère fastidieux  (critère 7) de la cueillette de 50 fichiers de photographies pris durant une période de près de 2 ans doit être pris en compte lorsque la réponse à la question du syndicat est facilement obtenue par le moyen des témoins ou des écrits déjà présentés devant l’arbitre, et cela après 6 journées d’audience;   

[44]  Après avoir pris connaissance des arguments de la jurisprudence  et des auteurs, et sur le tout délibéré; l’arbitre déclare ce qui suit;

Conclusions

Accueille la requête en cassation d’assignation et de production de documents de la commission;

Rejette la demande d’assignation et de production de documents demandée par le syndicat;

Compte tenu de la nature procédurale de la demande et le fait qu’elle vise trois suspensions, conformément à la clause 9-2.22 A de la convention collective, ordonne que les frais et honoraires de l’arbitre sur la requête en assignation et la présente décision soient à la charge du syndicat; 

Signé à Lorraine, le 18 septembre 2014


Dernière modification : le 14 octobre 2014 à 12 h 42 min.