Extraits pertinents: [26] La signature est exigée par l'article 726 C.c.Q. Elle n'apparaît pas sur le codicille lui-même bien qu'on la retrouve ailleurs dans le document, notamment sur les deux autres codicilles. Cette première condition ne fait pas problème. [27] Comme le mentionnait mon collègue, le juge Forget, dans l'arrêt Poulin c. Fontaine[9], il n'est pas facile d'appliquer cette seconde condition sans contredire le principe posé de façon absolue à l'article 713 C.c.Q. La difficulté est accrue lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, le testament sous examen est en forme olographe: comment peut-on concrètement conclure qu'un testament «vaut pour l'essentiel» alors qu'il manque l'une des deux conditions essentielles à sa validité posées par l'article 726 C.c.Q.? Par contre, une interprétation trop rigoriste de l'article 726 C.c.Q. risque de priver l'article 714 C.c.Q. de toute utilité. [28] Mon collègue, le juge Hilton, décrit en ces termes les difficultés que pose l'application de ces articles. Il écrit dans Gariépy c. Beauchemin[10] ce qui suit: « [29] L'analyse du caractère essentiel d'une formalité peut être envisagée sous deux angles : objectivement (in abstracto) ou subjectivement (in concreto). [30] L'analyse objective consiste à se demander si la condition imposée par le législateur est essentielle ou non. Comme nous l'avons vu, cette Cour, sous la plume du juge Forget, a déjà refusé de procéder à un tel exercice, jugé inapproprié. [31] Selon le professeur Kasirer, l'analyse subjective consisterait à se demander non pas si la condition est une condition essentielle (analyse objective) mais plutôt si, compte tenu des circonstances, la condition est essentielle pour assurer que les objectifs de cette condition sont atteints? [32] Récemment, dans St-Jean-Major c. Cardinal Léger et ses œuvres[11], le juge Beauregard favorisait cette approche : « 32 À mon humble avis le testament ne saurait être annulé du fait que n'y apparaît pas la signature de Archambault [un témoin] alors que nul ne conteste que celui-ci était présent lors de la lecture et lors de la signature du testament. 33 Bref, l'article 714 est une application du principe suivant lequel on ne saurait invoquer qu'une formalité n'a pas été accomplie lorsque le but pour lequel la formalité était exigée a été complètement atteint.» » (Je souligne) [29] L'article 2827 C.c.Q. décrit la signification téléologique de la signature: « 2827 La signature consiste dans l'apposition qu'une personne fait à un acte de son nom ou d'une marque qui lui est personnelle et qu'elle utilise de façon courante, pour manifester son consentement. » [30] Dans le contexte d'un acte testamentaire, la signature remplira une double fonction: celle de s'assurer de l'identité de l'auteur d'une part et, d'autre part, de l'intention de donner plein effet au document signé par opposition à celui qui ne l'est pas et qui doit être considéré comme projet seulement. [31] L'application de ces principes, en pratique, est remplie d'embûches. [32] Il a été décidé à plusieurs reprises que l'absence d'une signature liant le testateur est une lacune fatale à la formation d'un testament olographe[12]. Cela dit, l'exigence d'une « signature » doit être interprétée libéralement par les tribunaux[13]. Or, le document complet trouvé en la possession de la testatrice comporte en deux endroits la signature originale de la testatrice, soit sur les codicilles du 8 mai 2003 ainsi que l'indication de sa signature à la fin de la copie conforme qui lui a été délivrée par le juriste instrumentant. Le document indique en plus les initiales de la testatrice ainsi que celles de ses deux témoins au bas de chacune des pages. Enfin, le document en son entier ne prête pas à plusieurs interprétations: il est la manifestation concrète des dernières volontés de la testatrice. [33] Un testament non signé en tant que tel pourra être vérifié s'il existe un lien matériel et intellectuel entre la signature que l'on retrouve ailleurs et le testament lui-même. Il en a été ainsi dans Noreau c. Noreau[14] où le juge a accepté de vérifier un testament non signé parce que l'enveloppe qui contenait le testament était signée. Dans Rioux (Succession de)[15], le testament du défunt se trouvait sur une disquette informatique. Il n'était donc pas signé. Le tribunal applique tout de même l'article 714 C.c.Q. parce que la disquette elle-même était signée, le tribunal étant aussi convaincu qu'il s'agissait réellement des dernières volontés de la défunte. Enfin, dans Minville (Re)[16], le testament n'était pas signé mais comportait le nom du défunt en son début, une situation analogue à celle que l'on retrouve dans Lessard c. Lessard[17] où la Cour, appliquant l'article 714 C.c.Q. écrit ce qui suit : « Même si ce document ne porte pas de signature à la fin du texte, nous sommes d’avis que le défunt y a apposé sa signature en écrivant au long au début du document. » [34] Avec égards, je suis d'avis que le juge de première instance a fait une application trop étroite des enseignements de la Cour dans Gariépy où il y avait tout lieu de croire que le document non signé constituait un ensemble de notes personnelles du défunt destinées à son notaire pour la rédaction éventuelle d'un testament. Tout au plus, il s'agissait d'un projet de testament qui ne s'est pas concrétisé. [35] Selon moi, le cas en l'espèce présente plutôt des affinités avec l'affaire Poulin (Succession de) c. Duchêne[18] où le document tenant lieu de testament se trouvait sur une formule préimprimée intitulée « ceci est mon testament » qui se trouvait dans une enveloppe sur laquelle on retrouvait les mots « testament Marcel Poulin ». La juge Rousseau-Houle, qui écrit au nom de la Cour, est d'avis que le document satisfait pour l'essentiel aux formalités de l'article 726 C.c.Q. Le nom du défunt est écrit à la fois sur l'enveloppe et à la première ligne de la formule imprimée. [36] Tout comme dans l'affaire Poulin, je suis d'avis qu'il y a un lien matériel probant entre les signatures que l'on retrouve dans le corps du testament en la possession de la défunte et l'inscription manuscrite ajoutée dans la marge. Dernière modification : le 30 août 2012 à 14 h 00 min.