Extraits pertinents

[1] La demanderesse, madame Karine Maltais (madame Maltais), réclame du défendeur, monsieur Ned Saunders Gordon (monsieur Gordon), 12 148,91 $ selon la pièce P-3 amendée dont une copie est jointe en annexe, pour des prêts qu'elle prétend avoir consentis à ce dernier pendant leur union de fait ainsi que 10 000 $ à titre de dommages moraux et dommages punitifs en raison de la publication de propos, également par ce dernier, sur le « mur » de Facebook peu de temps avant l'audition du procès, soit le 29 août 2013.

Les faits

[6] Pendant leur vie de couple, à plusieurs reprises, madame Maltais aurait, selon ses dires, prêté de l'argent à monsieur Gordon et elle aurait noté tout cela sur une liste manuscrite. Elle n'a pas produit celle-ci affirmant à l'audience qu'elle serait possiblement dans le tiroir d'un meuble dans la chambre d'amis à sa résidence à Kuujjuaq. Monsieur Gordon dit qu'il n'a jamais vu cette liste.

[7] Madame Maltais produit quatre courriels (pièce P-1) émanant de la période du 24 juillet 2010 au 18 octobre 2011 dans lesquels monsieur Gordon lui demande de faire certains achats à l'égard desquelles il s'engage à la rembourser.

[8] Ce n'est qu'à la suite de leur séparation que monsieur Gordon apprend, par un courriel transmis par madame Maltais le 17 février 2012 (pièce P-5), qu'elle lui réclame à ce moment 11 939 $ pour diverses dépenses qu'elle affirme avoir assumées durant leur vie de couple et à l'égard desquels il se serait engagé à la rembourser.

[14] Le 29 août 2013, monsieur Gordon reçoit à son travail à Kuujjuaq l'avis d'audition. En réaction à cela, il décide de publier sur le « mur » de Facebook ceci :

I cannot believe my ex the nurse, taking me to court, according to her, for owing her $12,000.00. Holy shit, it's really happening. Court day September 19 in Quebec City. I thought nurses up north are here to help Inuit, not, trying to ruin one's life. She is doing all that because I left her. And I left her cause she tried to control me too much. OMG!

(Reproduction intégrale)

[15]Le 29 août, l'avocate de madame Maltais signifie à l'avocat de monsieur Gordon une requête introductive d'instance amendée par laquelle elle énonce les faits relatifs à la publication faite sur Facebook par monsieur Gordon, qui selon ses dires, a 315 amis sur sa page Facebook. Elle ajoute une réclamation contre ce dernier de 10 000 $ composée de 5 000 $ pour dommages moraux et 5 000 $ pour dommages punitifs, affirmant que « Le défendeur a fait preuve d'une insouciance déréglée et téméraire à l'égard du droit au respect de la dignité, de l'honneur et de la réputation de la demanderesse et ce, en parfaite connaissance des conséquences immédiates ou prévisibles de ses déclarations ».

[16]À l'audience, monsieur Gordon affirme que dès le lendemain, il a retiré ses propos publiés sur le « mur » de Facebook à la suggestion de son avocat. Ce dernier écrit à l'avocate de madame Maltais, le 3 septembre 2013 (pièce D-8) afin de l'informer que son client a retiré son commentaire sur Facebook. En conséquence de cela, il affirme que la nouvelle réclamation de madame Maltais est sans fondement.

Les questions en litige

[18] Y a-t-il lieu de maintenir l'objection formulée par l'avocat de monsieur Gordon à l'audience basée sur les articles 2862 et 2865 du Code civil du Québec (C.c.Q.)?

[20] Madame Maltais a-t-elle établi de manière prépondérante que monsieur Gordon s'est engagé à lui rembourser des prêts totalisant 12 148,91 $?

[21] Par la publication de propos sur le « mur » de Facebook, monsieur Gordon a-t-il causé des dommages à madame Maltais? Si oui, à quel montant celle-ci a-t-elle droit?

Analyse

L'objection

[22] Au début de l'audience, pendant la présentation de la preuve de la demande, l'avocat de monsieur Gordon a fait une objection générale à la preuve alléguant que la réclamation de madame Maltais étant supérieure à 1 500 $, la preuve de divers prêts totalisant 12 148,91 $ ne peut se faire par témoignage à moins qu'il n'y ait un commencement de preuve, ce qu'il affirme être inexistant en l'instance, et ce, sur la base des articles 2862 et 2865 C.c.Q. :

2862. La preuve d'un acte juridique ne peut, entre les parties, se faire par témoignage lorsque la valeur du litige excède 1 500 $. Néanmoins, en l'absence d'une preuve écrite et quelle que soit la valeur du litige, on peut prouver par témoignage tout acte juridique dès lors qu'il y a commencement de preuve; on peut aussi prouver par témoignage, contre une personne, tout acte juridique passé par elle dans le cours des activités d'une entreprise.

2865. Le commencement de preuve peut résulter d'un aveu ou d'un écrit émanant de la partie adverse, de son témoignage ou de la présentation d'un élément matériel, lorsqu'un tel moyen rend vraisemblable le fait allégué.

[23] La seule chose que monsieur Gordon admet, par l'entremise de son avocat relativement à l'objection, c'est que dans un courriel daté du 18 octobre 2011 (pièce P‑1), il a effectivement demandé à madame Maltais de lui commander de la bière, du rhum et des cigarettes afin que cela soit livré à Kuujjuaq et il s'est engagé à la payer à son retour car il est à Salluit à ce moment.

[24] Cette admission est faite en lien avec la réclamation au point numéro 50 à la pièce P-3 amendée en annexe. Quant aux trois autres courriels faisant partie de la pièce P‑1 et qui sont datés du 24 juillet 2010, du 4 octobre 2010 et du 7 octobre 2010, il affirme qu'il a requis de madame Maltais qu'elle effectue des achats pour lui et qu'il les paierait ultérieurement mais il s'agit de dettes qu'il a remboursées et qui ne sont pas l'objet de l'une des réclamations à la pièce P-3 amendée, formant un total de 12 148,91 $.

[25] L'avocate de madame Maltais réfère le Tribunal à l'affaire Vandal c. Salvas dans laquelle la juge Micheline Laliberté, j.c.Q. a été appelée à décider d'une objection similaire à celle formulée par l'avocat de monsieur Gordon dans cette instance. Dans son dossier, la juge Laliberté analyse quatre messages transmis par courrier électronique  et en vient à la conclusion que l'objection à la preuve doit être rejetée, les messages établissant l'acte juridique à la base de la réclamation, soit des prêts sur une certaine période.

[26] La juge Laliberté écrit entre autres ceci :

[…]

[18] En l'espèce, le Tribunal est d'avis qu'il apparaît clair que les quatre documents reçus en preuve (P-3) constituent un commencement de preuve au sens de l'article 2865 précité, puisque les témoignages de la demanderesse et de son père ont établi que ces messages électroniques avaient bel et bien été expédiés par le défendeur. De plus, et conformément à l'article 2855 du Code Civil du Québec, ces quatre documents étant considérés comme des documents technologiques au sens de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information (L.R.Q. c. C-1.1), la preuve de leur authenticité n'est pas ici requise :

"La présentation d'un élément matériel, pour avoir force probante, doit au préalable faire l'objet d'une preuve distincte qui en établisse l'authenticité. Cependant, lorsque l'élément matériel est un document technologique au sens de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information, cette preuve d'authenticité n'est requise que dans le cas visé au troisième alinéa de l'article 5 de cette loi."

[27] Le Tribunal conclut sur l'objection de l'avocat de monsieur Gordon qu'il y a dans ce dossier un commencement de preuve par écrit, plus particulièrement le courriel du 18 octobre 2011, qui fait l'objet d'une admission par monsieur Gordon en ce qu'il a requis de madame Maltais qu'elle achète de la bière, du rhum et des cigarettes pour lui et qu'il s'est engagé à la rembourser. Il s'agit de l'un des 52 éléments de la réclamation de madame Maltais. Quant à savoir si les 51 autres points de la demande constituent des prêts ou des dons, le Tribunal va analyser cela plus loin dans le cadre de son analyse du fardeau de preuve que celle-ci doit rencontrer pour établir de façon prépondérante ce qu'elle requiert de monsieur Gordon.

LA RÉCLAMATION DE MADAME MALTAIS ET SON FARDEAU DE PREUVE

[33] À l'audience, madame Maltais soutient, selon son document intitulé « montant prêté » (pièce P-3 amendée, en annexe de ce jugement) que du mois d'octobre 2009 jusqu'au 3 novembre 2011, elle a prêté à monsieur Gordon des sommes pour divers motifs dont de l'argent comptant pour participer à un tournoi de billard, à un tournoi de poker, à des courses de motoneiges, pour des dépenses quotidiennes, l'achat de linge et de souliers, des produits de pharmacie, des pièces d'équipement pour son camion, l'achat d'alcool et enfin pour un abonnement à la radio Sirius pour son véhicule.

[34] Monsieur Gordon affirme qu'en toutes circonstances sauf ce qui fait l'objet du courriel du 18 octobre 2011 mentionné plus haut (pièce P-1), il a consenti à rembourser quelque somme que ce soit qui est réclamée par madame Maltais au cours de leur vie commune et même après que celle-ci se soit terminée (à partir de mai 2011 selon monsieur Gordon et de septembre 2011 selon madame Maltais).

[35] De plus, il dit qu'il a remboursé ce qui fait l'objet du courriel du 18 octobre 2011 et qui est réclamé aux points 50, 51 et 52 (à la pièce P-3 amendée en annexe de ce jugement), soit 350 $ pour de l'achat de bière, de rhum et de cigarettes les 20 et 28 octobre 2011 et les frais d'abonnement mensuel à la radio Sirius le 3 octobre 2011 de 18,10 $ et de 19,81 $ pour le mois de novembre 2011. Il affirme qu'il a remis ces montants à madame Maltais à la résidence de cette dernière en argent comptant, ce qu'elle nie.

[42]  Si tout au cours de leur vie commune, madame Maltais avait convenu avec monsieur Gordon que toutes les sommes qu'elle lui demande étaient de simples prêts, elle devait l'établir de façon prépondérante, ce qu'elle n'a pas fait. Certes, les relevés de son institution financière et de sa carte Visa (pièce P-2) démontrent qu'elle a retiré des sommes qu'elle énonce dans le bilan des montants qu'elle prétend avoir prêtés à monsieur Gordon (pièce P-3 amendée), et certains d'entre eux apparaissent en tout ou en partie dans les relevés de l'institution financière de monsieur Gordon (pièce D-3), mais tel que le requiert l'article 2314 C.c.Q., cela ne démontre pas que ce dernier s'est engagé à lui rendre ces sommes.

[43] En conséquence, le Tribunal conclut que madame Maltais n'a pas rencontré son fardeau de preuve sauf quant aux montants de 350 $, 18,10 $ et 19,81 $ mentionnés précédemment. Ainsi, monsieur Gordon est condamné à lui rembourser le total de cela, soit 387,91 $ car le Tribunal ne retient pas son témoignage sur ce point lorsqu'il dit qu'il a remboursé madame Maltais en lui remettant cette somme en argent comptant en novembre 2011.

LA RÉCLAMATION POUR LA PUBLICATION DE PROPOS SUR LE « MUR » DE FACEBOOK

[46] Monsieur Gordon précise à l'audience que son avocat a communiqué avec lui afin qu'il retire les propos publiés sur Facebook, ce qu'il a fait le 30 août en matinée.

[48] À l'audience, madame Maltais témoigne sur l'impact que les propos écrits par monsieur Gordon ont eu sur elle. Elle dit qu'elle a subi du stress et de l'insomnie et qu'elle a craint la réaction de la clientèle qu'elle dessert dans le Nord du Québec à titre d'infirmière.

[50] En regard du droit au respect de sa réputation, les articles 367 et 35 C.c.Q. énoncent :

3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée. Ces droits sont incessibles.

6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

 7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée. Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise.

[51] La personne qui contrevient  à ces règles commet une faute extracontractuelle selon l'article 1457 C.c.Q. :

1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel. Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.

[55] Lorsque monsieur Gordon décide de publier sur le « mur » de Facebook les propos énoncés plus haut, il le fait en réaction à l'avis d'audition qu'il a reçu, selon ce qu'il a dit à l'audience. Par ailleurs, cela ne lui donne pas le droit d'écrire que madame Maltais, étant une infirmière travaillant dans le Nord pour aider les Inuits, tente plutôt de détruire sa vie parce qu'il l'aurait laissée.

[56] Le Tribunal retient le témoignage de madame Maltais à l'égard de l'impact que ces propos ont eu sur sa personne, cela lui causant du stress et de l'insomnie. Ce que monsieur Gordon a écrit sur le « mur » de Facebook est une atteinte à la réputation de madame Maltais en tant qu'infirmière et s'avère aussi une forme d'intimidation à quelques jours de l'audience devant se tenir le 19 septembre 2013.

[57] De ce fait, le Tribunal conclut que monsieur Gordon a commis une faute selon les termes de l'article 1457 C.c.Q.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE partiellement la demande;

CONDAMNE le défendeur, monsieur Ned Saunders Gordon, à payer à la demanderesse, madame Karine Maltais, 387,91 $ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la réception par monsieur Ned Saunders Gordon de la mise en demeure, soit le 17 septembre 2012;

CONDAMNE le défendeur, monsieur Ned Saunders Gordon, à payer à la demanderesse, madame Karine Maltais, 500 $ à titre de dommages moraux avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la signification de la requête introductive d'instance amendée, soit le 29 août 2013;

CONDAMNE le défendeur, monsieur Ned Saunders Gordon, à payer à la demanderesse, madame Karine Maltais, 500 $ à titre de dommages punitifs avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date de ce jugement;

LE TOUT avec dépens.

 PIERRE CODERRE, J.C.Q.



Dernière modification : le 5 novembre 2013 à 11 h 14 min.