Extraits pertinents :

[1] Le Tribunal est saisi d’une demande présentée par la fille de feu Jules Valade (Jules), Manon Valade (Manon) et le mari de cette dernière, Stéphane Sanscartier (Stéphane), visant à faire annuler le testament ainsi que la modification de la désignation de bénéficiaire d’une police d’assurance-vie effectués dans les mois précédant le décès de Jules.

[25] En 2006, l’épouse en deuxièmes noces de Jules doit s’absenter pour s’occuper de sa mère gravement malade. N’appréciant pas particulièrement le fait de demeurer seul, Jules s’installe temporairement avec Manon et Stéphane.

[26] Ce qui ne devait durer que quelque temps prend une tournure différente lorsque des difficultés maritales surviennent entre Jules et sa conjointe. Ils se séparent et Jules emménage de manière permanente chez le couple Valade-Sanscartier. Il y restera d’octobre 2007 au début juillet 2010.

[28] Rapidement, Jules fait confiance au maître de la maison pour tout ce qui touche les finances. Il n’y a rien de nouveau dans cette façon de faire, puisque c’est toujours un de ses enfants qui a vu à faire ce suivi.

[29] Ainsi, Stéphane obtient toutes les autorisations nécessaires pour effectuer les transactions de Jules par internet.

[39] Le 7 octobre 2010, soit trois mois après son arrivée à Repentigny, Jules effectue un changement de bénéficiaire à la police d’assurance-vie qu’il avait souscrite en 1986, et nomme Micheline, à titre de bénéficiaire en lieu et place de Manon.

[40] Le 8 novembre 2010, Jules modifie ses dernières volontés en signant un testament devant témoins et lègue l’ensemble de ses biens à Micheline[12].

[56] Pour Stéphane et Manon, il ne fait aucun doute que Micheline agissait comme famille d’accueil à l’endroit de Jules. En raison de cette situation, ces derniers demandent à ce que le testament signé par Jules, le 8 novembre 2010, soit déclaré nul, tout comme le changement de bénéficiaire de la police d’assurance-vie peu de temps avant.

[58] Subsidiairement, si le testament n’est pas annulé, Manon et Stéphane affirment que Jules leur a transféré l’entière propriété de la maison sise au […] à Saint-Constant, par un acte sous seing privé et qu’ils sont en droit d’être déclarés seuls et uniques propriétaires de cet immeuble.

[65] Micheline, en son nom personnel et en sa qualité de liquidatrice de la succession de Claude, affirme qu’elle et son mari n’agissaient pas comme famille d’accueil auprès de Jules. En fait, ce dernier a toujours été traité comme un membre de la famille : ils ont en commun leur petit-fils, Alexandre.

[71] Les défendeurs ont formulé une objection générale, en début de procès, face à l’utilisation de divers enregistrements de conversations téléphoniques par les demandeurs[18]. Essentiellement, ils font valoir que ces documents ne peuvent être utilisés par les demandeurs en raison du fait qu’ils ne respectent pas les critères d’admissibilité d’une telle preuve.

[72] Il est utile de reproduire ici le texte de l’article 2874 du Code civil, lequel traite de la recevabilité d’une telle preuve :

La déclaration qui a été enregistrée sur ruban magnétique ou par une autre technique d’enregistrement à laquelle on peut se fier, peut être prouvée par ce moyen, à la condition qu’une preuve distincte en établisse l’authenticité. Cependant, lorsque l’enregistrement est un document technologique au sens de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (chapitre C-1.1), cette preuve d’authenticité n’est requise que dans le cas visé au troisième alinéa de l’article 5 de cette loi.

[73] À cela, il faut préciser qu’il appartient à la personne qui invoque un tel moyen, d’en faire la preuve. Celle-ci doit d’abord prouver l’identité des locuteurs et, ensuite, démontrer que le document est parfaitement authentique, intégral, inaltéré et fiable, et que les propos sont suffisamment audibles et intelligibles[19].

[75] Stéphane et Manon fournissent des explications sur la façon dont ils ont procédé pour enregistrer les nombreuses conversations téléphoniques. Les renseignements fournis quant à la façon dont le système fonctionne sont loin d’être clairs et n’offrent pas le niveau de fiabilité auquel on peut s’attendre.

[76] D’une part, Manon indique que l’appareil enregistreur ne requiert aucune intervention humaine. Elle laisse comprendre que l’ensemble des appels à leur domicile fait l’objet d’un enregistrement, peu importe la provenance.

[77] De son côté, Stéphane, qui se présente comme le grand manitou derrière ce stratagème, explique en fait, qu’il s’est procuré un logiciel pour tenir un registre des contrats qu’il effectue dans le cadre de son emploi. Ce système semble pouvoir procéder de manière automatique ou manuelle, en fonction de sa programmation et de l’appareil téléphonique utilisé. En l’espèce, il semble que les enregistrements produits ont été obtenus de manière manuelle en actionnant des fonctions sur le téléphone et sur l’ordinateur maison de Stéphane.

[79] En raison du fait que certains enregistrements sont inaudibles[20] et qu’on peut entretenir des doutes quant à l’intégralité de l’ensemble de ces enregistrements, et en raison des nombreuses manipulations effectuées par Stéphane et Manon, le Tribunal entretient de sérieuses réserves quant à leur recevabilité.

[81] Puisque les demandeurs désirent se servir de ces enregistrements pour prouver des aveux de Micheline quant à ses réelles intentions, force est de constater que les enregistrements démontrent qu’il ne s’agissait en fait que d’un stratagème pour les demandeurs de se constituer de la preuve. À écouter les demandeurs sur certains extraits, il est clair qu’ils cherchaient à obtenir des déclarations tendancieuses qu’ils utiliseraient éventuellement contre Micheline. Cette façon de faire discrédite l’administration de la justice et entache la crédibilité des demandeurs.

[82] À la lumière de ce qui précède, le Tribunal maintient l’objection quant à la recevabilité de ce moyen de preuve.


Dernière modification : le 8 mars 2017 à 15 h 29 min.