A.            APERÇU

[1]           Par son pourvoi en contrôle judiciaire, Société Radio-Canada (la Société) attaque la légalité des conditions d’utilisation du service en ligne de recherches d’entreprises (les conditions d’utilisation) au registre des entreprises (le registre). Celles-ci ont été mises en place en mars 2016, par le registraire des entreprises (le registraire), l’officier public (désigné par le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale (le Ministre)) qui tient le registre.

[2]           La Société recherche également l’annulation d’une décision subséquente du registraire. Notamment dans ses conclusions, elle présente cette décision comme une décision interdisant d’« accéder au Registre des entreprises du Québec par le biais de recherches basées sur les noms d’individus »[2]. D’entrée de jeu, il convient de recadrer le débat : comme on le verra, la décision du registraire est plutôt d’interdire ou de refuser à toute personne d’effectuer des regroupements d'informations basés sur les nom et adresse d’une personne physique.

[3]           À cet égard, la Société demande également qu’il soit ordonné au registraire de fournir à la Société, sur demande de celle-ci (et sur paiement des droits prévus), un regroupement comprenant les nom et adresse d’une personne physique contenus au registre.

[4]           Subsidiairement, la Société souhaite l’annulation d’une autre décision du registraire, une décision qui rejette sa demande pour la conclusion d’une entente de diffusion massive entre le Ministre et elle. Elle recherche également une déclaration judiciaire selon laquelle la Société a droit à la conclusion d’une telle entente.

[5]           En somme, les questions en litige se présentent ainsi :

Quant aux conclusions principales :

  1.         Conditions d'utilisation : Celles-ci doivent-elles être annulées?
  2.         Regroupements d'informations : La décision du registraire d’interdire à toute personne, et de refuser à la Société, des regroupements d'informations basés sur les nom et adresse d’une personne physique doit-elle être annulée? Doit-il être ordonné au registraire de fournir de tels regroupements à la Société? et

Quant aux conclusions subsidiaires :

  1.         Conclusion d’une entente de diffusion : La Société est-elle en droit d’exiger la conclusion d’une entente de diffusion massive entre le Ministre et elle?

* *

[6]           En bref, la Société fait valoir que l’accès aux données du registre par le biais de noms de personnes physiques et la possibilité d’obtenir ou de faire des regroupements d'informations contenues au registre, sur la base des nom et adresse d’une personne physique, sont nécessaires à l’exercice des attributions qui lui sont conférées par le législateur en tant qu’entreprise publique de presse. De ce fait, la Loi sur la publicité légale des entreprises[3] (la Loi sur la publicité des entreprises) lui donne droit à l’accès et aux regroupements d'informations qu’elle demande. En posant un obstacle à cet accès et en refusant les informations que la Société demande, les conditions d'utilisation et décisions du registraire contreviennent, non seulement à la Loi sur la publicité des entreprises, mais également à la liberté de presse protégée par la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

[7]           La Société avance par ailleurs que la norme de la décision correcte doit guider l’appréciation de son pourvoi, tout en ajoutant qu’en tout état de cause les décisions du registraire sont déraisonnables.

[8]           La Procureure générale du Québec (la Procureure générale) rétorque que les décisions du registraire sont protégées par une clause privative et que le pourvoi en contrôle judiciaire ne soulève aucune question de compétence au sens défini par la Cour suprême du Canada et envisagé par le second alinéa de l’article 529 du Code de procédure civile. C’est donc plutôt sous l’angle de la décision raisonnable que les décisions du registraire doivent être examinées, des décisions qui font partie des issues possibles en regard des faits et du droit et qui ne doivent donc pas être révisées.

* *

[9]           Pour les motifs qui suivent, le pourvoi en contrôle judiciaire de la Société est rejeté.

B.           CADRE LÉGISLATIF

1.            Registraire

[10]        Aux termes de la Loi sur la publicité des entreprises, le registraire est chargé « de tenir le registre […], de le garder, de recevoir les documents destinés à y être déposés et d’en assurer la publicité »[4].

[11]        Le registraire est également chargé d’immatriculer les personnes physiques, personnes morales et autres qui sont assujettis à l’obligation de s’immatriculer en vertu de la Loi sur la publicité des entreprises. Il est en outre chargé notamment de conférer, dans les cas prévus par la loi, l’existence légale aux personnes morales[5].

2.            Immatriculation et registre

[12]        La Loi sur la publicité des entreprises oblige à s’immatriculer, en bref, les personnes physiques qui exploitent une entreprise individuelle, les sociétés, les personnes morales et les fiducies qui exploitent une entreprise à caractère commercial[6].

[13]        Pour ce faire, la personne, la société ou la fiducie qui doit ainsi s’immatriculer (ou la personne qui, sans y être tenue, choisit de le faire) (des assujettis[7]) doit déposer auprès du registraire une déclaration d’immatriculation ou, s’il s’agit d’une personne morale, son acte constitutif[8]. La déclaration d’immatriculation contient notamment le nom de l’assujetti, tout autre nom sous lequel il s’identifie dans l’exercice de son activité, son domicile, celui qu’il élit avec mention du nom de la personne qu’il mandate pour recevoir les documents aux fins d’application de la loi, les nom et domicile de chaque administrateur avec mention de la fonction qu’il occupe ou de chaque associé, selon la forme juridique empruntée, les nom et domicile du président, du secrétaire, du principal dirigeant et du fondé de pouvoir et, dans le cas d’une personne morale, les nom et domicile des trois actionnaires détenant le plus de voix, avec mention de celui qui en détient la majorité absolue[9].

[14]        Le registraire procède à l’immatriculation de l’assujetti sur production de sa déclaration d’immatriculation ou, dans le cas d’une personne morale, sur dépôt de son acte constitutif. Ce faisant, il inscrit au registre les informations qui concernent l’assujetti[10].

* *

[15]        Le registre lui-même est composé de l’ensemble des informations qui y sont inscrites et des documents qui y sont déposés. Il est également composé, relativement à chaque assujetti, d’un index des documents, d’un index des noms contenant le nom qui permet d’identifier l’assujetti et de ceux qu’il a déjà déclarés, et d’un état des informations[11].

[16]        C’est cet état des informations qui, pour un assujetti donné, contient notamment les informations énoncées à sa déclaration d’immatriculation[12]et mentionnées précédemment[13].

[17]        Ainsi, l’état des informations d’un assujetti comprend, outre ses propres nom et domicile s’il s’agit d’une entreprise individuelle, les nom et domicile des personnes physiques qui en sont, selon la forme juridique empruntée, l’un des trois actionnaires détenant le plus de voix, un administrateur, un associé, le président, le secrétaire ou le principal dirigeant, le fondé de pouvoir ou la personne mandatée pour recevoir les documents aux fins d’application de la loi.

3.            Accès au registre

[18]        En principe, toute personne peut consulter le registre, soit en se présentant aux endroits désignés pour ce faire soit en procédant à distance, par un accès technologique déterminé par le registraire, ou encore obtenir copie ou un extrait d’un document déposé au registre, d’un index des documents, d’un état des informations ou d’un index des noms[14].

[19]        Par contre, par exception et pour une période qu’il détermine, le registraire peut empêcher la consultation d’une information personnelle concernant un assujetti ou une autre personne, s’il a des motifs raisonnables de croire que la diffusion de cette information présente une menace sérieuse à la sécurité de l’assujetti ou de cette autre personne[15]. Cette disposition n’est pas en jeu dans le cas sous étude.

[20]        Les dispositions qui soulèvent un débat sont traitées sous la rubrique qui suit.

4.            Dispositions en jeu

[21]        D’abord, comme cela a déjà été mentionné, la consultation du registre peut se faire à distance, par un accès technologique que détermine le registraire. C’est ce que prévoit le second alinéa de l’article 99 de la Loi sur la publicité des entreprises :

  1. Toute personne peut consulter le registre.

La consultation se fait aux endroits et heures désignés par le registraire. Elle peut aussi se faire à distance, au moyen des technologies qu’il détermine.

La consultation est gratuite. Toutefois, elle est sujette aux frais prescrits par règlement du gouvernement dans les cas qui y sont déterminés.

(Soulignement ajouté.)

[22]        Or, un lien s’impose entre cette tâche qui incombe au registraire de déterminer le moyen d’accès technologique au registre et la Loi sur le cadre juridique des technologies de l'information[16] (la Loi sur les technologies), qui prévoit ceci à son article 24 :

  1. L’utilisation de fonctions de recherche extensive dans un document technologique qui contient des renseignements personnels et qui, pour une finalité particulière, est rendu publicdoit être restreinte à cette finalité. Pour ce faire, la personne responsable de l’accès à ce document doit voir à ce que soient mis en place les moyens technologiques appropriés. Elle peut en outre, eu égard aux critères élaborés en vertu du paragraphe 2° de l’article 69, fixer des conditions pour l’utilisation de ces fonctions de recherche. (Soulignement ajouté.)

* *

[23]        Ensuite, la Loi sur la publicité des entreprises, à son article 101, donne la possibilité à toute personne de demander au registraire qu’il lui fournisse « un regroupement d’informations contenues aux états des informations ». En principe toutefois, un tel regroupement ne peut inclure « les nom et adresse d’une personne physique » « ni lui servir de base ». Des exceptions sont faites dans certains cas spécifiques, énoncés au second alinéa de la disposition. L’article 101 est ainsi libellé :

  1. Le registraire peutfournir à toute personne qui en fait la demande, sur paiement des droits prévus par la présente loi, un regroupement d’informations contenues aux états des informations.

Les nom et adresse d’une personne physique ne peuvent toutefois faire partie d’un regroupement ni lui servir de basesauf lorsque le regroupement est demandé par une personne ou un organisme visé à l’un des paragraphes 1° à 3° ou 5° du deuxième alinéa de l’article 59 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1) ou à l’un des articles 67 ou 68 de cette loipour les fins qui y sont prévues.

(Soulignement ajouté.)

[24]        Il convient de préciser que cette disposition est en vigueur, essentiellement selon la même facture, - principe, restriction et exceptions comprises -, depuis l’introduction de la première loi portant sur la publicité légale des entreprises, en 1993[17] (la loi de 1993), sous réserve de l’ajout subséquent, dans les cas d’exceptions, aux organismes visés à l’un des articles 67 ou 68 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[18] (la Loi sur l’accès aux documents).

[25]        Cela dit, la Société fait appel à l’une de ces exceptions, celle qui concerne les organismes visés à l’article 68 de la Loi sur l'accès aux documents, lequel se présente ainsi :

  1. Un organisme public peut, sans le consentement de la personne concernée, communiquer un renseignement personnel:

1°   à un organisme public ou à un organisme d’un autre gouvernement lorsque cette communication est nécessaire à l’exercice des attributions de l’organisme receveur ou à la mise en œuvre d’un programme dont cet organisme a la gestion;

1.1°   à un organisme public ou à un organisme d’un autre gouvernement lorsque la communication est manifestement au bénéfice de la personne concernée;

2°   à une personne ou à un organisme lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient;

3°   à une personne ou à un organisme si cette communication est nécessaire dans le cadre de la prestation d’un service à rendre à la personne concernée par un organisme public, notamment aux fins de l’identification de cette personne.

[…]

(Soulignement ajouté.)

[26]        Il est convenu qu’à titre de « mandataire de Sa Majesté »[19] la Société est un organisme d’un autre gouvernement au sens de cet article 68, en l’occurrence un organisme du gouvernement du Canada.

[27]        Ainsi, pour que l’exception qu’invoque la Société trouve application, et qu’elle puisse obtenir du registraire un regroupement d'informations contenues aux états des informations qui inclue ou qui ait pour base les nom et adresse d’une personne physique, la communication de tels regroupements d'informations doit être « nécessaire à l’exercice [de ses] attributions ».

[28]        Aux fins d’établissement de ses attributions, la Société fait appel, d’une part, à la mission que lui confère sa loi constitutive, la Loi sur la radiodiffusion[20] (la Loi sur la radiodiffusion), de fournir une programmation qui « renseigne, éclaire et divertit »[21] et, d’autre part, à la liberté d’expression dont elle jouit aux termes de cette loi dans la réalisation de sa mission et l’exercice de ses pouvoirs, ainsi qu’à la liberté de presse, comprise dans la liberté d’expression, qu’accorde la Charte.

[29]        Sans qu’il soit nécessaire de citer la Charte, il convient de citer les dispositions pertinentes de la Loi sur la radiodiffusion :

Politique canadienne de radiodiffusion

(1) Il est déclaré que, dans le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion :

[…]

  1. l) la Société Radio-Canada, à titre de radiodiffuseur public national, devrait offrir des services de radio et de télévision qui comportent une très large programmation quirenseigne, éclaireet divertit;

[…]

Déclaration de principe

35 […]

(2) Toute interprétation ou application de la présente partie doit contribuer à promouvoir et à valoriser la liberté d’expression, ainsi que l’indépendance en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouit la Société dans la réalisation de sa mission et l’exercice de ses pouvoirs.

Mission et pouvoirs

46 (1) La Société a pour mission de fournir la programmation prévue aux alinéas 3(1) l) et m), en se conformant aux conditions des licences qui lui sont attribuées par le Conseil, sous réserve des règlements de celui-ci. À cette fin, elle peut : […]

[…]

(5) La Société jouit, dans la réalisation de sa mission et l’exercice de ses pouvoirs, de la liberté d’expression et de l’indépendance en matière de journalisme, de création et de programmation.

(Soulignement ajouté.)

* *

[30]        Enfin, la Loi sur la publicité des entreprises, à ses articles 121 et 122, prévoit la possibilité pour le Ministre de conclure, notamment avec un organisme d’un autre gouvernement, une entente pour que le registraire communique à ce dernier tout ou partie des informations contenues au registre, si toutefois cette communication est nécessaire aux attributions de l’organisme.

[31]        Par contre, il est fait interdiction à l’organisme d’utiliser ces informations contenues au registre, qui feraient l’objet d’une telle entente, pour effectuer un regroupement d’informations contenant les nom et adresse d’une personne physique ou qui est basé sur ceux-ci. En somme, la même restriction que celle prévue à l’article 101 de la Loi sur la publicité des entreprises, qui interdit au registraire de fournir de tels regroupements. Avec, toutefois, les mêmes exceptions, incluant celle qui trouve application lorsque le regroupement est effectué aux fins prévues à l’article 68 de la Loi sur l'accès aux documents, cité précédemment, lequel renvoie à la communication nécessaire à l’exercice des attributions de l’organisme.

[32]        Les articles 121 et 122 de la Loi sur la publicité des entreprises sont rédigés ainsi :

  1. Le ministre peut conclure une entente avecun ministère, un organisme ou une entreprise du gouvernement pour que le registraire lui communique tout ou partie des informations contenues au registre et les mises à jour qui y sont apportées.

Une telle entente ne peut être conclue que si cette communication est nécessaire aux attributions du ministère, de l’organisme ou de l’entreprise du gouvernement.

Le ministère, l’organisme ou l’entreprise du gouvernement qui reçoit les informations contenues au registre ne peut les utiliser:

1°   pour effectuer un regroupement d’informations pour un tiers;

2°   pour effectuer pour ses propres fins un regroupement d’informations contenant les nom et adresse d’une personne physique ou un regroupement d’informations basé sur les nom et adresse d’une telle personnesauf si le regroupement est effectué aux fins prévues à l’un des paragraphes 1° à 3° ou 5° du deuxième alinéa de l’article 59 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1) ou à l’un des articles 67 ou 68 de cette loi.

  1. Le ministre peut, conformément à la loi, conclure une entente ayant le même objet que celle visée au premier alinéa de l’article 121 avec un gouvernement autre que celui du Québec, l’un de ses ministères, une organisation internationaleou un organisme de ce gouvernement ou de cette organisation.

Une telle entente doit prévoir les restrictions mentionnées aux paragraphes 1° et 2° du troisième alinéa de cet article.

(Soulignement ajouté.)

C.           CONTEXTE

[33]        En mars 2016, le registraire met en place les conditions d’utilisation (intitulées Conditions d’utilisation du service en ligne Rechercher une entreprise au registre[22]). L’acceptation explicite de ces conditions est un prérequis à l’accès au service de recherche en ligne au registre. Les conditions comprennent des restrictions aux activités pouvant être réalisées à l’aide du registre et de ses données, au nombre desquelles se trouve l’interdiction suivante :

Restrictions

Il est strictement interdit d’entreprendre ou d’effectuer les activités suivantes, directement ou indirectement, par quelque moyen que ce soit :

  •      […]
  •      utiliser les données du registre aux fins d’un regroupement d'informations, notamment un regroupement d'informations contenant les nom et adresse d’une personne physique ou basé sur les nom et adresse d’une telle personne;

[…]

(Caractère gras au texte.)

[34]        Au mois de juillet suivant, Me Nicholas Daudelin, du service juridique de la Société, fait part au registraire de l’avis de la Société selon lequel les conditions d'utilisation sont illégales et violent la liberté de presse. Puis, au mois d’août, Me Daudelin a une discussion avec une employée du bureau du registraire, mandatée par ce dernier, impliquée dans la mise en place des conditions d'utilisation[23].

[35]        En septembre, la Société fait suite à cette dernière conversation par une lettre au registraire, dans laquelle elle expose les motifs pour lesquels elle estime que l’interprétation que fait le registraire de la loi est déraisonnable et que la position prise par celui-ci entrave le libre exercice par la Société de sa liberté de presse. Elle conclut en demandant que le registraire revoie sa position « afin de permettre à [la Société] d’accéder au Registre et ce, même si des recherches par mots-clés, incluant les noms d’individus, sont par la suite effectuées »[24].

[36]        Par la même occasion, la Société fait une demande de bene esse (ne la jugeant pas requise) pour qu’une entente soit conclue entre le registraire et la Société, comme le permet la Loi sur la publicité des entreprises, autorisant cette dernière à accéder au registre pour ensuite pouvoir faire des recherches par mots-clés, un tel accès avec cette capacité de recherche étant nécessaire à ses attributions.

[37]        Le 5 décembre, le registraire répond, dans un premier temps, à la demande de la Société qu’il réévalue sa position selon laquelle « il interdit […] d’utiliser les données du registre aux fins d’un regroupement d'informations, notamment un regroupement d'informations basé sur les nom et adresse d’une personne physique ». Il informe la Société que, après consultation de son service juridique, il ne peut donner suite à la demande. Il maintient donc sa « décision d’interdire […] d’effectuer des regroupements d'informations basés sur les nom et adresse d’une personne physique ». Puis, tout en rappelant à la Société qu’elle peut, sur paiement des droits prévus par la loi, lui demander d’effectuer et de fournir des regroupements d'informations en vertu de Loi sur la publicité des entreprises, le registraire précise que de tels regroupements d'informations ne pourront être basés sur les nom et adresse d’une personne physique[25]. (la lettre du 5 décembre)

[38]        Quant à la demande de la Société pour une entente particulière, que le registraire identifie sous le vocable « entente de diffusion massive », ce dernier déclare ne pouvoir y accéder, étant d’avis que la communication des informations contenues au registre n’est pas nécessaire aux attributions de la Société, un prérequis selon la Loi sur la publicité des entreprises[26].

[39]        Cela dit, bien que la Société et la Procureure générale, dans son mémoire et sa plaidoirie, réfèrent à cette lettre du 5 décembre comme étant la décision contestée par la Société, l’on ne peut s’y limiter, vu la suite des échanges entre la Société et le registraire.

[40]        Le 20 décembre se tient une rencontre entre, d’un côté, Me Daudelin et M. Daniel Boily, responsable des affectations nationales à Radio-Canada, et, de l’autre, le registraire, accompagné du directeur de la Direction principale des affaires juridiques et de l’accès à l’information à Revenu Québec[27]et d’une avocate à la Direction des affaires juridiques. Au cours de cette rencontre, les représentants de Revenu Québec auraient affirmé « qu’ils étaient réticents à accéder à [la] demande [pour une entente] dans les circonstances considérant que les médias “font des procès sur la place publique” »[28]. Par contre, selon une communication subséquente[29], au terme de la rencontre le registraire et Revenu Québec s’engagent à prendre en considération les éléments complémentaires soumis, dans le cadre d’une analyse complémentaire.

[41]        Le 23 décembre, la Société écrit au registraire, pour faire suite à la lettre de ce dernier du 5 décembre et à la rencontre du 20 décembre. D’une part, elle réfère à sa propre lettre antérieure du mois de septembre, pour ce qui est de son désaccord face à la position du registraire eu égard aux règles d’utilisation du registre. D’autre part, concernant sa demande pour une entente, elle reproche au registraire de ne pas lui avoir donné la possibilité de bonifier son dossier avant que celui-ci rende sa décision, une décision qu’elle juge par ailleurs insuffisamment motivée. Elle développe ensuite son argument basé sur la liberté de presse[30].

[42]        La Société joint à sa lettre une déclaration sous serment de M. Boily, journaliste responsable des affectations nationales à Radio-Canada qui était présent lors de la rencontre du 20 décembre. Celui-ci y expose en quoi les recherches au registre sont essentielles aux journalistes et primordiales pour le public et en quoi des recherches recourant à des noms de personnes physiques sont nécessaires à son travail de journaliste-recherchiste[31].

[43]        Parce que l’argumentation développée par la Société est juridique, c’est le directeur de la Direction principale des affaires juridiques et de l’accès à l’information de Revenu Québec qui, le même jour, réagit. Il conclut en réitérant qu’ils prendront en considération les éléments complémentaires soumis par la Société, dans le cadre de leur analyse complémentaire[32].

[44]        Le 16 février 2017, le registraire communique à la Société une opinion juridique de  la Direction principale des affaires juridiques et de l’accès à l’information de Revenu Québec. Celle-ci porte sur la demande de la Société pour une entente. Elle est une nouvelle analyse, qui prend en compte les précisions apportées par la Société lors de la rencontre du 20 décembre et dans sa lettre du 23 décembre (laquelle comprend la déclaration sous serment de M. Boily). En résumé, l’opinion conclut que la communication des informations personnelles contenues au registre, lesquelles doivent en principe être protégées et leur utilisation limitée à la finalité du registre, n’est pas nécessaire à l’exercice des attributions de la Société, conférées par la Loi sur la radiodiffusion, auxquelles la liberté de presse n’ajoute pas d’attributions supplémentaires, de sorte que l’entente demandée par la Société n’est pas justifiée[33].

[45]        Dans la mesure où le registraire et Revenu Québec conviennent le 20 décembre, et le réitèrent le 23, de procéder à une analyse complémentaire à la lettre du 5 décembre, qui prenne en considération les éléments complémentaires soumis par la Société les 20 et 23 décembre, dont le résultat est présenté sous la forme de l’opinion juridique du 16 février, la lettre du 5 décembre et l’opinion juridique subséquente doivent être considérées comme constituant la décision dont la Société demande à se pourvoir en contrôle judiciaire en l’instance (collectivement donc, la décision finale).

[46]        Cela dit, le 1er avril, la Société revient à la charge, par une mise en demeure au registraire. Elle conclut à ce que ce dernier l’autorise à accéder au registre, « afin de lui permettre de faire des recherches par nom d’individu » ou, alternativement, qu’il établisse avec la Société « une entente de diffusion massive d’informations », comme le permet la Loi sur la publicité des entreprises[34].

[47]        Dans les deux semaines qui suivent, la Société se pourvoit en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure.

D.           NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[48]        C’est avec raison que les défendeurs plaident la norme de la décision raisonnable.

[49]        Il existe une présomption bien établie selon laquelle est assujettie à la norme de la décision raisonnable la décision d’un organisme administratif qui interprète sa loi constitutive, dans le cas présent la Loi sur la publicité des entreprises, ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie[35]. De l’avis du Tribunal, la Loi sur l’accès aux documents entre dans ce cadre, pour ce qui est des dispositions de cette loi – dont l’article 68 – auxquelles réfèrent notamment les articles 101 et 121 de la Loi sur la publicité des entreprises. Il en va également de même pour ce qui est de l’article 24 de la Loi sur les technologies, qui s’applique au registraire à titre de personne responsable de l’accès au registre.

[50]        Or, d’une part, la Société ne réfute pas cette présomption par une analyse contextuelle qui révèlerait une intention claire du législateur de ne pas protéger la compétence du registraire à l’égard de certaines questions[36]. Au contraire, la présence d’une clause privative dans la Loi sur la publicité des entreprises[37] et le choix du législateur de créer un régime administratif distinct et particulier, dans le cadre duquel il confie au registraire des fonctions, responsabilités et devoirs concernant le registre, sa garde et sa publicité, l’immatriculation des personnes morales et autres qui exploitent une entreprise et, dans les cas prévus par la loi, l’attribution de l’existence légale à des personnes morales, tendent à confirmer que c’est la norme de la décision raisonnable qui doit être appliquée.

[51]        D’autre part, les questions en jeu en l’instance ne relèvent pas de l’une des catégories de question qui commandent l’application de la norme de la décision correcte[38].

[52]        D’abord, il ne s’agit pas de questions qui touchent au partage constitutionnel des compétences ou à la délimitation des compétences entre tribunaux administratifs ou spécialisés concurrents.

[53]        Ensuite, il ne s’agit pas non plus de questions qui touchent véritablement à la compétence ou à la constitutionalité (true questions of jurisdiction or vires[39]), au sens de la définition très restreinte que lui donne la Cour suprême du Canada, au sens strict de la faculté de connaître de la question[40]. Dans le cas sous étude, la question n’est pas de déterminer si le registraire a la faculté d’édicter des conditions d’utilisation du registre ou d’accepter ou refuser de fournir des regroupements d'informations. Ni, pour ce qui est de la question subsidiaire, si le Ministre peut conclure une entente avec la Société. Il s’agit plutôt de déterminer, d’une part, si, par les conditions d'utilisation qu’il met en place, le registraire excède ses pouvoirs, sa compétence ou s’il rend sa décision au sujet des regroupements d'informations pour des motifs qui sont justifiés et, d’autre part, si la décision du Ministre de ne pas conclure d’entente est basée sur des motifs auxquels la Loi sur la publicité des entreprises ne donne pas ouverture.

[54]        Enfin, les questions à trancher ne sont pas d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, tout en étant étrangères au domaine d’expertise du registraire. Elles ont une portée étroite, limitée à l’accès au registre, aux types de recherches qui peuvent y être effectuées et à la nature des informations qui peuvent en être extraites.

[55]        À cet égard, il faut se garder de conclure que la norme de la décision correcte doit s’appliquer du fait qu’une valeur consacrée par la Charte, en l’occurrence la liberté de presse, serait en jeu. Il ne s’agit pas ici de déterminer la constitutionalité d’une disposition législative ou de définir les contours de la protection que confère une liberté ou un droit garanti par la Charte. Il s’agit plutôt de l’appréciation, par le registraire à l’intérieur de sa sphère de compétence, d’un droit fondamental et de son application à une situation particulière de faits dans le contexte de sa loi habilitante et de lois liées étroitement à son mandat[41].

[56]        En définitive, la présomption en faveur de la norme d’appréciation applicable, celle de la décision raisonnable, n’est pas renversée.

E.            ANALYSE – DEMANDES PRINCIPALES

1.            Position des parties

La Société

[57]        Les conclusions que la Société recherche sont les suivantes :

ANNULER les Conditions d'utilisation du Registre des entreprises du Québec établies par le Registraire des entreprises du Québec;

ANNULER la décision du Registraire des entreprises du Québec contenue dans la lettre du 5 décembre 2016 transmise à Radio-Canada interdisant à des tiers d’accéder au Registre des entreprises du Québec par le biais de recherches basées sur les noms d’individus;

ORDONNER au Registraire des entreprises du Québec de fournir à Radio-Canada, sur demande de sa part et sur paiement des droits prévus, un regroupement comprenant le nom et adresse d’une personne physique contenus au Registre des entreprises prévu à l’article 101 de la Loi sur la publicité légale des entreprises.

[58]        Selon la plaidoirie écrite de la Société[42], jusqu’à la mise en place des conditions d'utilisation, elle avait accès au registre afin d’y faire des recherches par mots-clés, plus particulièrement par noms de personnes physiques. À l’audience, toutefois, par l’entremise de son avocat, elle nuance. Ce qu’elle comprend, c’est que les conditions d'utilisation ont formalisé une restriction déjà existante, mais que, jusque là, cette restriction ne l’empêchait pas d’avoir accès aux informations ainsi recherchées. Bref, l’accès « ne posait pas problème », sans que la Société puisse dire si cela était le résultat d’une absence de « blocage » technologique, d’une tolérance, d’une entente ou d’un autre cheminement.

[59]        Quoi qu’il en soit, fait valoir la Société, le litige découle de l’annonce par le registraire, par les conditions d'utilisation et par la décision finale, qu’il refuse désormais l’accès au registre si c’est dans le but d’y effectuer des recherches par mots-clés, notamment des recherches d’informations basées sur les noms de personnes physiques[43], ou l’accès « aux données du [registre] par le biais d’une recherche basée notamment sur les noms d’individus »[44], bref la décision du registraire de refuser à la Société l’accès souhaité au registre[45].

[60]        Dans sa plaidoirie orale, toutefois, l’avocat de la Société parle plutôt d’une décision d’interdire l’accès lorsque cet accès a pour but de procéder subséquemment « à des regroupements par noms ».

[61]        En définitive, référant à l’article 101 de la Loi sur la publicité des entreprises, la Société fait valoir en plaidoirie, écrite[46] et orale, que l’obtention de la part du registraire d’un regroupement d'informations contenues au registre est l’une de deux portes d’entrée, de deux voies d’accès, pour qu’elle puisse obtenir l’accès qu’elle recherche (l’autre porte ou voie étant la conclusion d’une entente en vertu de l’article 122 de la Loi sur la publicité des entreprises, objet de la question en litige subsidiaire), un accès dont les conditions d'utilisation et la décision finale du registraire la privent.

[62]        Selon la Société, le registraire n’a pas compétence pour adopter des règles d’utilisation qui privent d’accès à un registre public les justiciables qui souhaitent faire une recherche dans les données du registre, sur la base d’informations que le registraire y publie lui-même. En entravant ainsi l’accès au registre, le registraire s’approprie ou usurpe un pouvoir qu’il n’a pas de limiter ou d’empêcher l’accès au registre, excédant ainsi sa compétence.

[63]        D’autant que le registraire a au contraire le devoir d’assurer la publicité du registre, un registre que toute personne peut consulter et qui contient les nom et adresse de chacun des actionnaires, administrateurs et dirigeants qu’un assujetti est tenu de divulguer. Une telle publicité et un tel accès ont pour optique d’assurer la transparence du régime corporatif québécois.

[64]        Dans le cas présent, la Société souhaite « essentiellement utiliser des informations publiques afin de rechercher de l’information publique »[47]. Et il s’agit là d’informations et d’un accès sans lesquels il lui est à toutes fins pratiques impossible de « dresser la trame corporative d’un individu »[48]. L’accès qu’elle demande, essentiel à la préparation de contenu journalistique[49], est ainsi nécessaire à l’exercice des attributions que lui confère la Loi sur la radiodiffusion[50].

[65]        Il s’agit donc là d’un accès auquel la Société a droit, via la porte d’entrée de l’article 101 de la Loi sur la publicité des entreprises, qui, par référence à l’article 68 de la Loi sur l’accès et donc à l’exercice par la Société de ses attributions, permet à celle-ci d’obtenir du registraire un regroupement d'informations qui inclut les nom et adresse de personnes physiques.

[66]        Qui plus est, les conditions d'utilisation et la décision finale du registraire sont une atteinte à la liberté de presse, liberté fondamentale représentant un attribut important et essentiel d’une société libre et démocratique, qui comprend la liberté de diffuser des renseignements, mais également le droit de recueillir des nouvelles et d’autres renseignements[51].

La Procureure générale

[67]        Avant toute chose, la Procureure générale fait valoir que, si l’acceptation explicite des conditions d'utilisation, comme prérequis à la consultation du registre, est une exigence nouvelle depuis mars 2016, la Loi sur la publicité des entreprises a toujours, depuis sa première mouture, exclu la possibilité, sauf exceptions, d’obtenir un regroupement d'informations qui inclut les nom et adresse d’une personne physique ou qui ait pour base les nom et adresse d’une personne physique.

[68]        Les conditions d'utilisation n’empêchent dont pas l’accès au registre, mais encadrent simplement l’utilisation des fonctions de recherche de manière à ce que cette utilisation se conforme à la loi.

[69]        D’ailleurs, en vertu de l’article 24 de la Loi sur les technologies, le registraire a l’obligation de mettre en place les moyens technologiques appropriés pour restreindre la fonction de recherche extensive dans le registre, lequel contient des renseignements personnels, à la finalité particulière pour laquelle le registre est rendu public. Cette finalité, c’est la protection des tiers qui entrent en relation avec une entreprise, en leur permettant de connaître les personnes physiques qui la dirigent ou lui sont liées, à titre d’actionnaire, d’administrateur, de dirigeant, etc.

[70]        En définitive, c’est en application de l’article 101 de la Loi sur la publicité des entreprises que le registraire refuse de donner à la Société la possibilité d’effectuer des regroupements d'informations basés sur les nom et adresse d’une personne physique.

[71]        Quant à l’exception qu’invoque la Société eu égard à l’exercice de ses attributions, qu’elle relie à sa mission en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, elle ne trouve pas application : le fait qu’elle ne puisse faire de recherches par les noms de personnes physiques ou faire des regroupements d'informations basés sur les nom et adresse de personnes physiques ne l’empêche aucunement de remplir sa mission. La nécessité à cet égard n’est pas démontrée.

[72]        Pour ce qui est de la liberté de presse, elle ne donne pas à la Société d’attributions supplémentaires à celles que lui confère la Loi sur la radiodiffusion. En outre, dans la mesure où le registraire agit dans le respect de la Loi sur la publicité des entreprises, le Tribunal doit faire preuve de retenue judiciaire et ne pas se prononcer sur une question qui serait de nature constitutionnelle, d’autant que la Société ne conteste pas la validité constitutionnelle de la loi en question. Dans le cas contraire où le Tribunal conclurait que le registraire contrevient à la Loi sur la publicité des entreprises, cela suffirait à résoudre le litige entre les parties, sans qu’il y ait lieu de traiter la question constitutionnelle.

2.            Discussion

2.1.        Question 1 - Conditions d'utilisation

[73]        Pour les motifs qui suivent, la Société n’établit pas qu’il y ait lieu d’annuler les conditions d'utilisation.

Conditions d'utilisation

[74]        Selon les conditions d'utilisation, une personne qui souhaite accéder au registre et y faire une recherche sur une ou des entreprises doit d’abord accepter expressément qu’il lui est interdit d’utiliser les données qu’il y trouve aux fins d'un regroupement d'informations, notamment un regroupement d'informations contenant les nom et adresse d'une personne physique ou basé sur les nom et adresse d'une telle personne.

[75]        Les conditions d'utilisation se présentent ainsi :

Objet

La consultation du registre […] au moyen du service en ligne Rechercher une entreprise au registre […] vous donne accès, relativement à chaque entreprise immatriculée ou qui l'a déjà été, à l'état des informations, à l'index des documents et à celui des noms. Vous pouvez ainsi prendre connaissance de l'ensemble des informations qu'une entreprise déclare, notamment le nom et l'adresse du domicile des actionnaires, des administrateurs, des associés et des dirigeants non membres du conseil d'administration, les activités de l'entreprise, l'adresse de chacun de ses établissements ainsi que les autres noms sous lesquels elle exerce ses activités. Vous avez la possibilité d'imprimer les dossiers que vous consultez.

Acceptation

En utilisant le service de recherche, vous reconnaissez avoir lu, compris et accepté les conditions d'utilisation indiquées dans le présent document. Si vous ne voulez pas être lié par ces conditions, vous devez cesser d'utiliser ce service.

Le Registraire […] peut, à sa discrétion et sans préavis, suspendre l'accès au site, de façon temporaire ou permanente, à toute personne qui ne respecte pas les conditions d'utilisation. De plus, le Registraire se réserve le droit de prendre toute autre mesure appropriée visant à faire respecter les présentes conditions d'utilisation.

Modifications

Le Registraire peut modifier, en tout temps et sans préavis, les présentes conditions d'utilisation […].

Exactitude de l'information

[…]

Restrictions

Il est strictement interdit d'entreprendre ou d'effectuer les activités suivantes, directement ou indirectement, par quelque moyen que ce soit :

  •      effectuer des prélèvements massifs des données du registre;
  •      utiliser les données du registre aux fins d'un regroupement d'informationsnotamment un regroupement d'informations contenant les nom et adresse d'une personne physique ou basé sur les nom et adresse d'une telle personne;
  •      reproduire la totalité ou une partie du registre aux fins de diffusion ou de publication;
  •      utiliser les données du registre à des fins lucratives;
  •      utiliser le service de recherche, son contenu et ses fonctionnalités d'une façon qui pourrait endommager ce service, le mettre hors service ou en compromettre la performance et la sécurité.

Limitation de responsabilité

[…]

Droit applicable

[…]

Date de mise à jour: 22 mars 2016

(Caractère gras au texte; soulignement ajouté.)

a.            Fonctionnalités du moteur de recherche

[76]        D’entrée de jeu, force est de constater que, contrairement à ce que fait valoir la Société, ce ne sont pas les conditions d'utilisation qui interdisent ou empêchent les recherches par noms de personnes physiques[52]. Ce sont plutôt les fonctionnalités du moteur de recherche lui-même qui rendent impossible une telle recherche.

[77]        Or, ces fonctionnalités de recherche ne font l’objet d’aucune conclusion dans la demande de pourvoi en contrôle judiciaire de la Société. Au contraire, au terme de l’audition de sa demande, la Société a remplacé et retiré la conclusion qui prévoyait qu’elle puisse avoir accès au registre « par le biais de recherches effectuées sur la base d’informations que se doivent de fournir les assujettis à la [Loi sur la publicité des entreprises] aux fins d’immatriculation ».

[78]        Ainsi, l’annulation des conditions d'utilisation que demande la Société ne lui donnera pas l’accès qu’elle dit rechercher par le biais de noms de personnes physiques.

Restrictions aux fonctions de recherche et finalité du registre

[79]        À tout événement, c’est dans le respect des devoirs auxquels il est tenu que le registraire restreint ainsi les fonctions de recherche au registre. En effet, comme on l’a vu, l’article 24 de la Loi sur les technologies oblige le registraire à mettre en place les moyens technologiques appropriés pour restreindre l’utilisation des fonctions de recherche extensive dans le registre, eu égard aux renseignements personnels qu’il contient. Une telle utilisation doit être restreinte à la finalité particulière pour laquelle le registre contenant de tels renseignements est rendu public.

[80]        Quelle est cette finalité du registre?

[81]        La Loi sur la publicité des entreprises, comme son nom l’indique, vise la publicité légale des entreprises, qu’il s’agisse d’entreprises individuelles exploitées par des personnes physiques, de personnes morales, de sociétés ou de fiducies qui exploitent une entreprise à caractère commercial. Cette « publicité légale » exige l’immatriculation, ce qui implique que des renseignements personnels sont inscrits au registre et déposés à l’état des informations propre à l’assujetti, plus particulièrement les nom et adresse notamment de chaque personne physique qui en est un actionnaire principal, un administrateur, un associé, un officier ou principal dirigeant (et de chaque personne morale qui en est l’un des trois actionnaires principaux, auquel cas cette personne morale est à son tour immatriculée de même façon).

[82]        Ainsi, toute personne qui entre en relation avec une entreprise peut donc savoir, via le registre et plus particulièrement l’état des informations relatif à cette entreprise, qui la dirige et avec qui ou à qui elle a affaire. Il s’agit là de la finalité du registre : en somme, connaître les personnes physiques derrière l’entreprise.

[83]        Cela ressort d’ailleurs du Journal des débats de la Commission permanente des finances publiques qui, en 2010, se penche sur le projet de loi qui refond diverses lois, dont la loi de 1993, en une seule loi[53] qui deviendra la Loi sur la publicité des entreprises. On peut y lire ceci, au sujet de la finalité de l’article 101[54] :

            Le registre, sa finalité, c’est de permettre de savoir, lorsqu’on a un nom d’entreprise, avec qui on fait affaire. Alors, on peut aller voir tel nom d’entreprise pour savoir… voici les actionnaires; s’il s’agit d’une compagnie, les administrateurs; l’établissement où on peut prendre une procédure, où on peut… l’établissement principal où on peut rejoindre les dirigeants pour faire état de poursuites ou de réclamations, si on en a, ou pour délivrer une procédure, parce que ça sert beaucoup dans le domaine judiciaire. Alors, c’est la seule finalité du registre, à voir, savoir qui est derrière un nom d’entreprise, en quelque sorte. […] ●(16h10)

(Soulignement ajouté.)[55]

[84]        En somme, la finalité du registre est de donner les renseignements sur les entreprises assujetties et non de permettre d’effectuer des recherches sur les personnes physiques et leur implication au sein d’entreprises.

[85]        Il est ainsi tout-à-fait conséquent avec cette finalité restreinte que les renseignements personnels fournis par un assujetti au sujet des personnes physiques liées à lui, inscrits au registre, soient consignés uniquement dans l’état des informations propre à cet assujetti. Et il est tout autant conséquent qu’il ne soit pas permis au registraire de fournir des regroupements d'informations sur la base de ces informations, sauf cas d’exception qui évoquent essentiellement, à certaines conditions, des situations de poursuites pour une infraction à une loi, de procédures judiciaires, d’étude, de recherche ou de statistique, de nécessité dans l’application d’une loi ou dans l’exercice des attributions d’un organisme, ou lorsque la communication est manifestement au bénéfice de la personne physique concernée ou encore lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient[56].

[86]        Encore ici, l’intention du législateur ne saurait être plus claire qu’en citant au long l’échange suivant entre les parlementaires au sujet de l’article 101, au terme duquel celui-ci est adopté :

Le Président (M. Paquet): M. le député de Rimouski.

  1.          Pelletier (Rimouski) : Oui. Ici, M. le Président, j’ai un peu de misère à comprendre parce que tout ce qui est inscrit au registre, une personne morale ou une personne, ainsi de suite, son nom, son adresse, tout ce qui est là est consultable et, normalement, excepté certaines conditions, n’est pas opposable aux tiers, et consultable, et ainsi de suite. Puis, ici, cet article-là, on dirait que ça vient de nous dire : Oui, c’est vrai, ces renseignements-là sont ouverts au public, mais ce qu’on veut bloquer, c’est la façon la plus efficace qu’on pourra obtenir les renseignements.

                        Parce que, si je veux obtenir, par exemple, le renseignement M. ou Mme Unetelle demeurant à telle adresse, ils possèdent des actions dans quelles entreprises, alors, à ce moment-là, je pourrais prendre le registre au complet puis lister… Ça me prendrait peut-être des mois, là, mais sortir les renseignements de toutes les entreprises puis aller voir le nom de cette personne-là, puis j’aurais le renseignement que je veux. Je pourrais l’avoir comme ça. Mais là, si je vais d’une façon plus efficace, c’est que je mets le nom de la personne et son adresse, puis là on aurait le renseignement demandé dans l’espace, peut-être, de deux minutes. Alors, moi, je pense que cet article-là, ça vient tout simplement nous dire : Prenez la voie la plus… Vous pouvez avoir le renseignement, mais prenez la voie la plus pénible possible pour obtenir ce renseignement-là. Parce que le renseignement qu’on semble vouloir bloquer ici, là, il ne l’est pas finalement, on peut procéder autrement.

            Le Président (M. Paquet) : M. le ministre.

  1.          Dutil : Madame ou Me Tremblay.

            Le Président (M. Paquet) : Me Tremblay.

  1.          Tremblay (François T.) : François Tremblay, ministère du Revenu. Notons d’abord que cet aspect-là de la législation que vous soulevez n’est pas modifié par rapport à ce qui existait antérieurement. Alors, il s’agit de choix qui avait été faits par le gouvernement de l’époque – et je ne peux pas vous dire à quel moment ça a été fait, mais il y a bien longtemps – pour faire en sorte que … et sur la foi des recommandations et des pressions, là, si l’on veut, de la Commission d’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels, qui estimait que le registre ne devait servir qu’à sa finalité, et non pas comme outil de recherche ou de croisement, si bien que le croisement de données qui permettrait, par exemple, de savoir sous quel nom ou combien d’entreprises une personne opère est interdit par cette disposition-làcomme il l’était avant.

                        Le registre, sa finalité, c’est de permettre de savoir, lorsqu’on a un nom d’entreprise, avec qui on fait affaire. Alors, on peut aller voir tel nom d’entreprise pour savoir… voici les actionnaires; s’il s’agit d’une compagnie, les administrateurs; l’établissement où on peut prendre une procédure, où on peut… l’établissement principal où on peut rejoindre les dirigeants pour faire état de poursuites ou de réclamations, si on en a, ou pour délivrer une procédure, parce que ça sert beaucoup dans le domaine judiciaire. Alors, c’est la seule finalité du registre, à voir, savoir qui est derrière un nom d’entreprise, en quelque sorte. Alors, devant cela, les autres finalités ont été estimées à l’époque, sur la base de ces représentations-là, comme n’étant pas souhaitables, et la législation actuelle reprend ces valeurs-là. ●(16h10)

            Le Président (M. Paquet) : M. le député de Rimouski.

  1.          Pelletier (Rimouski) : Je ne sais pas si j’interprète bien le document qui est écrit ici, là. La date qu’on cherchait, ça serait la première date, là. L’article 77 de l’ancienne loi, on parlait de 1993. Mais supposons, M. le Président, que je veux, moi, m’associer avec quelqu’un, M., Mme Unetelle, dans une entreprise donnée, puis la personne est de bonne foi, dans le sens que, oui, elle est prête à investir avec moi dans une entreprise donnée, là, mais, moi, j’aimerais ça, savoir un peu son pedigree, est-ce qu’il n’est pas déjà actionnaire chez un de mes compétiteurs, ou des choses comme ça, il n’y a aucun moyen de savoir ça par le registre des entreprises, là.

            Le Président (M. Paquet) : M. Tremblay.

  1.          Pelletier (Rimouski) : À moins… C’est-à-dire il y a toujours moyen – je m’excuse – il y a toujours moyen, mais là il faudrait que j’aille chercher le nom des entreprises. Autrement dit, c’est un renseignement que je peux obtenir, mais par une méthode longue, fastidieuse, tandis qu’une méthode courte… Tant qu’à être capable de le sortir, pourquoi ne pas permettre la méthode courte ou ne pas le permettre du tout?

            Le Président (M. Paquet) : M. Tremblay.

  1.          Tremblay (François T.) : Bien, vous avez raison de dire que ce n’est pas possible, là, et que vous ne pourrez pas utiliser ce moyen là pour mener à bien votre enquête sur la qualité professionnelle de la personne. Alors, ça peut être permis à la police, et on va le sortir à la police, par exemple, s’il y a un mandat de perquisition ou un autre mandat pertinent, mais là, je veux dire, il y a une autorisation judiciaire préalable d’aller sur ces choses-là. Ce n’est pas possible non plus, par exemple, pour une banque qui octroie une marge de crédit à une entreprise, de savoir plus que ce qu’il y a dans le registre. Elle ne pourra pas savoir par cette source-là si la personne est dans plusieurs entreprises et si ses engagements financiers, en conséquence, risquent d’être nombreux. La banque non plus ne pourra pas le savoir par ce moyen-là. Ça a été le choix à l’époque.

(Soulignement ajouté.)[57]

[87]        Et même dans les cas où une entente est conclue entre le Ministre et un organisme en vertu des articles 121 ou 122 de la Loi sur la publicité des entreprises, le législateur va encore plus loin dans sa protection des renseignements personnels des personnes physiques, en interdisant à l’organisme d’utiliser les informations fournies pour lui-même effectuer un regroupement d'informations basé sur les nom et adresse de personnes physiques, sauf encore une fois les cas d’exception déjà mentionnés.

[88]        En définitive, le législateur a délibérément voulu que le registre ne serve pas comme outil de recherche ou de croisement de données qui permettrait, par exemple, « de savoir sous quel nom ou combien d’entreprises une personne opère »[58] ou, pour citer la déclaration sous serment de M. Boily, « de dresser la trame corporative d’un individu » ou encore « de déterminer l’implication sociale de […] personnes physiques dont le comportement [serait] d’intérêt pour le public canadien », à moins que cela ne tombe dans l’un des cas d’exception énoncés au second alinéa de l’article 101, dont il sera question au titre 2.2 qui suit.

[89]        C’est donc dans le respect de ses devoirs, aux termes de l’article 24 de la Loi sur les technologies, que le registraire restreint les fonctions de recherche au registre en conformité avec l’article 101 de la Loi sur la publicité des entreprises et avec la finalité du registre.

* *

[90]        Quoi qu’il en soit, encore une fois, les conclusions de la demande de pourvoi en contrôle judiciaire de la Société ne ciblent pas ces fonctions de recherche.

b.            Interdiction d’utilisation des données

[91]        Cela dit, les conditions d'utilisation vont-elles trop loin et excèdent-elles les compétences du registraire lorsque, plutôt que de se limiter à interdire les recherches basées sur les noms de personnes physiques (ce que les fonctions de recherche empêchent de toute façon), elles interdisent à l’usager (et exigent l’acceptation de cette interdiction comme préalable à l’accès) d’utiliser les données tirées du registre aux fins d’effectuer ses propres regroupements d'informations?

[92]        Il n’est pas déraisonnable de répondre par la négative.

[93]        En principe, le législateur interdit au registraire de fournir de tels regroupements d'informations et il interdit au surplus à un organisme qui aurait conclu une entente avec le Ministre, sous l’égide des articles 121 ou 122 de la Loi sur la publicité des entreprises, d’effectuer son propre regroupement d'informations avec les informations contenues au registre. En somme, le législateur entend restreindre l’utilisation du registre à sa finalité.

[94]        Or, d’une part, le registraire a notamment pour tâches de tenir et de garder le registre et, d’autre part, le législateur lui donne le pouvoir (et lui impose le devoir), à l’article 24 de la Loi sur les technologies, de mettre en place des moyens technologiques pour restreindre l’utilisation des fonctions de recherche à la finalité du registre. Les conditions d'utilisation du registre, qui incluent l’utilisation des données qui y sont contenues dans le respect des restrictions dictées par la loi, et leur acceptation expresse en pressant un « bouton », comme prérequis à l’accès au registre, aux recherches à même le registre et donc à l’obtention des données qui s’y trouvent, peuvent être considérées comme des moyens technologiques visant à restreindre l’utilisation des fonctions de recherche à la finalité du registre.

[95]        Une telle interprétation de l’article 24 de la Loi sur les technologies, dans le contexte de la Loi sur la publicité des entreprises, est raisonnable.

c.            Conclusion

[96]        Il n’y a donc pas lieu d’annuler les conditions d'utilisation.

2.2.        Question 2 - Regroupements d'informations

[97]        Pour les motifs qui suivent, la Société n’établit pas qu’il y ait lieu d’annuler la décision finale du registraire eu égard aux regroupements d'informations et de rendre l’ordonnance qu’elle souhaite pour forcer la remise par le registraire de tels regroupements d'informations.

a.            Commentaires préliminaires

Nœud du débat

[98]        La Société demande d’annuler la décision finale du registraire. Celui-ci déclare maintenir sa décision d’interdire à quiconque d’effectuer des regroupements d'informations basés sur les nom et adresse d’une personne physique. Dans la foulée, tout en rappelant à la Société, dans sa lettre du 5 décembre, la possibilité, en vertu de l’article 101 de la Loi sur la publicité des entreprises, de demander au registraire qu’il fournisse des regroupements d'informations, ce dernier, devançant une telle demande, souligne que de tels regroupements ne pourront être basés sur les nom et adresse de personnes physiques.

[99]        La Société demande également qu’il soit ordonné au registraire de lui fournir, sur paiement des droits prévus, « un regroupement comprenant le nom et adresse d’une personne physique », comme le prévoit l’article 101 de la Loi sur la publicité des entreprises.

[100]      Ce faisant, et comme elle l’expose dans le cadre de son pourvoi en contrôle judiciaire, la Société fait valoir l’exception prévue au second alinéa de l’article 101 qui prend appui sur l’article 68 de la Loi sur l'accès aux documents, qu’elle qualifie de première voie d’accès ou de première porte d’entrée pour obtenir l’accès qu’elle recherche. Une voie ou une porte que lui ferme le registraire par sa décision finale.

[101]      En définitive, le débat porte sur la conclusion du registraire selon laquelle la communication des renseignements personnels que demande la Société, via des regroupements d'informations basés sur les noms de personnes physiques, n’est pas nécessaire à l’exercice des attributions de la Société au sens où l’entendent la Loi sur l'accès aux documents et, par référence à son article 68, l’article 101 de la Loi sur la publicité des entreprises.

Argument sur la publicité du registre

[102]      Certes, la Société invoque également le devoir qui incombe au registraire d’assurer la publicité du registre. L’argument doit toutefois être écarté.

[103]      D’abord, le législateur énonce, au chapitre VI de la Loi sur la publicité des entreprises, à ses articles 90 et suivants, la manière dont la publicité du registre est ainsi assurée. Ensuite, si le registraire doit assurer la publicité du registre, il doit le faire dans le respect des limites et contraintes que lui dicte le législateur. Cela ramène à l’interdiction qui lui est faite à l’article 101, d’ailleurs partie du chapitre VI portant sur la publicité du registre, de fournir des regroupements d'informations basés sur les nom et adresse d’une personne physique, sauf si l’un des cas d’exception s’applique.

Argument sur la liberté de presse en soi

[104]      Doit également être rejeté l’argument que la Société avance, comme argument autonome, selon lequel le refus du registraire de fournir les regroupements d'informations recherchés par la Société contreviendrait à la liberté de presse.

[105]      Cette liberté de presse dont jouit effectivement la Société, laquelle comprend le droit de recueillir des renseignements, ne saurait lui donner droit à un accès plus grand que ce que prévoit ou permet la loi, d’autant qu’elle ne conteste pas la constitutionalité ou la validité de la Loi sur la publicité des entreprises ou de son article 101.

[106]      Ainsi, de deux choses l’une : ou bien la Société a droit à l’accès qu’elle recherche, en vertu de la Loi sur la publicité des entreprises, ou bien elle n’y a pas droit aux termes de cette loi. Ce qui ramène encore une fois à la restriction et aux exceptions énoncées à l’article 101.

Cas d’exception à une restriction protégeant des renseignements personnels

[107]      Comme cela a été établi, la finalité pour laquelle le registre est créé, et pour laquelle l’accès aux renseignements personnels qu’il contient est accordé, est de donner accès aux renseignements sur les entreprises assujetties, de manière à connaître les personnes physiques derrière l’entreprise ou qui la dirigent. Et le législateur a délibérément voulu limiter cette finalité et, au-delà de celle-ci, assurer la protection des renseignements personnels des personnes physiques.

[108]      C’est dans ce contexte que le législateur interdit, en principe, la communication des regroupements d'informations qui sont basés sur les renseignements personnels des personnes physiques. Il s’ensuit que les exceptions à cette règle générale d’interdiction, visant la protection des renseignements personnels, sont d’interprétation et d’application stricte (« rigoureusement, à la lettre et sans aller au‑delà du texte »[59]) et que, dans le doute, on doit favoriser l’application de la règle générale prohibant la communication de tels regroupements d'informations[60].

[109]      En outre, dans ce cadre, si le texte de loi présente une ambiguïté, il faut lui préférer le sens qui s’harmonise le mieux avec le contexte, en somme l’exception doit alors être interprétée, non seulement strictement, mais également restrictivement[61].

[110]      Par ailleurs, même en présence d’un texte en apparence clair et concluant, il importe de considérer le contexte global dans lequel s’inscrit la disposition sous étude, pour lui assurer une interprétation et une application qui s’harmonisent avec l’esprit et l’objet de la loi et avec l’intention du législateur, tout en reconnaissant que, lorsque le libellé de la disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation, qui ne peut aller jusqu’à réécrire la loi[62].

b.            Nécessité pour l’exercice des attributions

[111]      L’exception qui nous occupe est celle qui résulte du fait que la communication du regroupement d'informations demandée « est nécessaire à l’exercice des attributions de l’organisme receveur ».

[112]      Deux conditions doivent donc être présentes. D’abord, les renseignements recherchés doivent l’être aux fins, dans le cadre donc, de l’exercice des attributions de l’organisme. Ensuite, cette communication de ces renseignements doit être nécessaire à cet exercice des attributions.

Attributions

[113]      La Société soutient que la mission qui est sienne, aux termes de la Loi sur la radiodiffusion, notamment de renseigner, et la liberté de presse dont elle jouit dans la réalisation de cette mission, qui comprend le droit de recueillir des renseignements, font partie de ses attributions.

[114]      De son côté, par la voix de son avocate, la Procureure générale avance que l’on ne doit pas confondre mission et attributions et que l’on ne peut assimiler la première notion à la seconde.

[115]      Il est vrai que, sur le plan strictement littéral, mission, d’une part, et attributions (« rights and powers » selon la version anglaise de l’article 68 de Loi sur l'accès aux documents, ce qui correspond aux définitions les plus courantes du terme français « attributions », lesquelles réfèrent principalement à des notions de droit ou de pouvoir[63]), d’autre part, n’ont pas la même signification. Et la Loi sur la radiodiffusion elle-même distingue entre mission et pouvoirs (entre « objects » et « powers ») au titre introduisant l’article 46 invoqué par la Société, ainsi qu’entre la mission de la Société (son « purpose ») au paragraphe 46(1) et, par exemple, les attributions (les « powers, duties and functions ») de certains dirigeants aux titres introduisant les paragraphes 41(1) et 41(2).

[116]      Toutefois, le paragraphe 46(1) de la Loi sur la radiodiffusion, qui décrit la mission de la Société, doit être lu avec deux autres dispositions, les paragraphes 46(5) et 35(2). Le premier précise que, dans la réalisation de sa mission, la Société jouit de la liberté d’expression (et donc de la liberté de presse, comprenant le droit de recueillir des renseignements), un droit donc, un droit fondamental même. Le second édicte que toute interprétation ou application de cette partie de la Loi sur la radiodiffusion, qui concerne la Société, doit contribuer à promouvoir et à valoriser cette liberté d’expression dans la réalisation de sa mission.

[117]      Dans le contexte où l’ont doit assurer une interprétation et une application qui s’harmonisent avec l’esprit et l’objet de la loi et avec l’intention du législateur, il n’est pas raisonnable de conclure que la mission de la Société de renseigner, protégée et même alimentée par la liberté de presse, ne fait pas partie de ses attributions.

Nécessité

[118]      Là où l’argument de la Société échoue, c’est sur la seconde condition d’application de l’exception relative à l’article 68 de la Loi sur l'accès aux documents, celle qui exige la démonstration d’une nécessité d’obtention des regroupements d'informations recherchés.

[119]      L’ordonnance que recherche la Société est si large qu’elle implique un accès pour la la Société complet, illimité, à tout moment et en toutes circonstances, aux renseignements personnels que constituent les nom et adresse d’une personne physique, inscrites au registre pour des fins limitées, bref une brèche dans la protection de la vie privée de la personne, un accès que le législateur a voulu être une voie d’exception.

[120]      En somme, selon la Société, l’intention du législateur que le registre ne puisse servir comme outil de recherche ou de croisement de données, « qui permettrait, par exemple, de savoir sous quel nom ou combien d’entreprises une personne opère »[64], doit céder le pas purement et simplement devant la mission de la Société.

[121]      À défaut de contester la validité de la restriction que fixe le législateur au second alinéa de l’article 101 de la Loi sur la publicité des entreprises, la Société doit donc démontrer que l’accès qu’elle recherche est nécessaire à l’exercice de sa mission, même drapée de la liberté de presse, pas simplement utile ou même très utile, que sans cet accès elle ne peut exercer pleinement cette mission.

[122]      Seule une telle démonstration peut justifier et permettre d’écarter la protection qu’a voulu le législateur pour les renseignements personnels inscrits au registre, en en limitant l’accès à la finalité pour laquelle ces renseignements sont exigés dans le cadre de l’immatriculation d’un assujetti, sauf les cas d’exception spécifiques prévus.

[123]      Exiger moins qu’une telle démonstration de nécessité contreviendrait au principe de l’interprétation et de l’application stricte de l’exception, irait « au-delà du texte »[65], étendrait les cas d’exception à des cas non prévus par le législateur.

* *

[124]      Pour appuyer ses demandes, la Société réfère à la déclaration sous serment de M. Boily. Avec respect, seuls les paragraphes 6 et 8 de celle-ci sont pertinents. Les paragraphes 3 à 5 concernent des accès au registre que permettent tant la Loi sur la publicité des entreprises que les fonctionnalités du service de recherche à même le registre et que ne refuse pas la décision finale du registraire : le premier soulève le caractère essentiel des recherches effectuées au registre, référant aux entités corporatives immatriculées; le second et le troisième soulignent le caractère primordial de connaître qui sont les personnes physiques impliquées, directement ou indirectement, dans les entités corporatives, justement une finalité du registre et ce que les recherches au registre permettent[66].

[125]      Au paragraphe 6, en conséquence de ce qu’il énonce aux paragraphes qui précèdent de sa déclaration sous serment (« Partant, »), M. Boily affirme que l’accès à l’information du registre par le biais d’une recherche recourant à des noms de personnes physiques « s’avère essentiel », puisque, « [e]n effet, il est à toute fin pratique impossible pour Radio-Canada de dresser la trame corporative d’un individu sans une recherche par nom d’individus ». Au paragraphe 8, il ajoute que sans la possibilité d’une telle recherche par nom d’individus, la Société est « empêchée de déterminer l’implication sociale de plusieurs personnes physiques dont le comportement est d’intérêt pour le public canadien ».

[126]      Il est bien sûr acquis que la liberté de presse est en soi une nécessité dans une société libre et démocratique. Partant, le droit et la possibilité de recueillir des renseignements, composante inhérente à l’exercice de la liberté de presse, sont tout aussi nécessaires à l’exercice de sa mission par la Société, par exemple dans le cadre et aux fins d’enquêtes journalistiques. Cela inclut sans aucun doute les enquêtes sur les personnes physiques et leur implication au sein ou derrière des assujettis, implication directe ou indirecte.

[127]      Et il ne fait pas de doute qu’il serait certainement très utile, précieux même, et certes pratique et efficace dans l’accomplissement d’enquêtes, que la Société puisse, à l’aide d’un outil comme le registre, faire des recoupements de données, des regroupements d'informations, qui lui permettent de « dresser la trame corporative d’un individu ».

[128]      Malheureusement, d’une part, comme cela a déjà été dit, le législateur n’a pas souhaité une telle finalité au registre et, d’autre part, l’emploi par M. Boily des termes ou expressions « essentiel » et « à toute fin pratique impossible » ne suffit pas à établir qu’il lui est nécessaire, à lui ou plus généralement à la Société, de pouvoir faire des recherches et regroupements par noms de personnes physiques pour conduire ses enquêtes et pour les mener à terme, qu’il ne dispose pas d’autres moyens, outils ou méthodes, conjugués avec l’accès au registre tel qu’il est permis, possiblement ou même vraisemblablement plus longs ou fastidieux ou moins efficaces, d’obtention des informations recherchées sur l’implication d’une personne physique au sein d’entreprises, sur sa « trame corporative ».

[129]      En somme, on ne peut conclure au caractère déraisonnable de la décision du registraire selon laquelle la Société ne fait pas la démonstration qu’il lui est nécessaire, aux fins de l’accomplissement de sa mission et de l’exercice de ses attributions, d’obtenir les regroupements d'informations qu’elle recherche.

[130]      En fait, la décision du registraire à cette enseigne apparaît même correcte.

c.            Conclusion

[131]      Il n’y a donc pas lieu d’annuler la décision finale du registraire sur la question ni de rendre l’ordonnance que demande la Société eu égard à la remise de regroupements d'informations par le registraire.

[...]

REJETTE la demande de pourvoi en contrôle judiciaire de la demanderesse, Société Radio-Canada, avec frais de justice.


Dernière modification : le 25 février 2019 à 11 h 59 min.