Extraits pertinents: “ L’article 2855 C.c.Q. énonce que « pour avoir force probante », la présentation d'un élément matériel « doit au préalable faire l'objet d'une preuve distincte qui en établisse l'authenticité ». À cet égard, le Syndicat a déposé un extrait du traité Précis de la preuve[2] et l’arbitre, Me Harvey Frumkin, a écrit que: Une vidéo cassette n’est pas un témoin. C’est une pièce. Son évaluation comme preuve n’est pas une question de crédibilité mais d’authenticité. Une fois que cette authenticité est établie, la preuve, contrairement au témoignage, ne peut être modifiée et parle d’elle-même. En fait, elle revêt le caractère d’un document auquel elle s’apparente et, de par sa nature, est très différente d’un témoignage. Elle n’est pas sujette à une contre-interrogation, comme c’est le cas pour un document, elle constitue un compte rendu fiable et même définitif de ce qui y est enregistré.[3] L’authenticité d’un enregistrement est donc une condition préalable à son admissibilité en preuve. L’article 2855 C.c.Q. impose à une partie qui désire faire une preuve à l’aide d’un enregistrement l’obligation préalable de démontrer son authenticité. L’enregistrement que veut utiliser l’Employeur est le résultat d’un montage des images qui ont été prises lors de la filature de madame Johanne Cauchon les 17 et 18 juin, ainsi que le 2 juillet 2009, par la société Bélanger et associés, une firme d’investigateurs qui détient un permis d’agence de sécurité du Québec. Il est admis que madame Cauchon est bien la personne que l’on voit sur les images prises lors de la filature et que les scènes ont été tournées à l’été 2009. ” “ Malgré ces explications, le Syndicat affirme que la sélection des images « laisse perplexe ». Il s’interroge « sérieusement sur l’authenticité, l’intégrité et l’intégralité des enregistrements vidéos ». Il invoque la décision que la Cour d’appel a rendue, en 1991, dans l’affaire Cadieux et Service de gaz naturel Laval inc. La Cour avait statué que : Aussi, la production d’un enregistrement mécanique impose à celui qui le recherche, la preuve d’abord de l’identité des locuteurs, ensuite que le document est parfaitement authentique, intégral, inaltéré et fiable et enfin que les propos sont suffisamment audibles et intelligibles. [4] Dans l’affaire dont le Tribunal est saisi, l’« identité des locuteurs » n’est pas pertinente puisqu’il est admis que madame Cauchon est bien la personne qui paraît sur les images qui ont été montrées afin d’illustrer le témoignage de madame Lapointe. De même, l’intelligibilité des propos est sans objet puisque l’enregistrement est visuel et non sonore. Quant à « l’intégrité et l’intégralité des enregistrements vidéo », le Tribunal constate que selon le dictionnaire Le Petit Robert, les deux mots sont synonymes. « Intégralité » signifie « état d’une chose complète » et renvoie à « intégrité », qui a pour sens « état d’une chose qui est demeurée intacte » et dont le synonyme est « intégralité ». Le Petit Larousse illustré abonde dans le même sens : l’«intégrité » est l’«état d’une chose qui a toutes ses parties, qui n’a pas subi d’altération », tandis qu’«intégralité » est l’«état de ce qui est complet, de ce à quoi il ne manque rien ». De son côté, le Multi dictionnaire de la langue française affirme que le mot « intégrité » signifie « honnêteté totale » et qu’il ne faut pas le « confondre avec le nom intégralité, caractère de ce qui est entier ». Selon les dictionnaires, le mot « intégrité » est soit synonyme d’« intégralité », soit inapproprié lorsqu’il est question de l’entièreté d’une œuvre. Puisqu’il y a eu montage, et donc choix d’images, il est évident que le disque que l’Employeur souhaite déposer en preuve et qui a été remis au Syndicat ne constitue pas l’intégralité de ce qui a été tourné. En tout état de cause, la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Cadieux et Service de gaz naturel Laval inc. porte sur une affaire criminelle, si bien qu’elle va au-delà des exigences énoncées à l’article 2855 C.c.Q, qui requiert qu’une preuve distincte et préalable soit faite afin d’établir qu’un élément matériel qu’une partie souhaite présenter en preuve soit authentique, non qu’il soit intégral et inaltéré. Le Tribunal souscrit ainsi aux propos de Me Isabelle Piché, commissaire à la Commission des lésions professionnelles, dans l’affaire Bérubé et Doncar Dionne Soter Mécanique inc.[5] lorsque, faisant référence à l’arrêt Cadieux et Service de gaz naturel Laval inc., elle a écrit que : [57] La Cour d’appel dans l’affaire Cadieux et le Service de gaz naturel Laval inc. développe certains critères en matière de recevabilité d’enregistrements mécaniques. On y mentionne l’identité des locuteurs, l’authenticité, l’intégralité et la fiabilité du document qui ne doivent pas être altérées et dont les propos doivent être suffisamment audibles et intelligibles. Bien qu’il soit possible pour le Tribunal de s’inspirer de ces balises, il faut toutefois les utiliser avec circonspection et souplesse puisque ce jugement traite d’une infraction en matière criminelle alors qu’un prévenu a droit à la présomption d’innocence, qu’il est en droit de ne pas s’auto-incriminer et que le fardeau de la démonstration des éléments essentiels de l’infraction appartient à la partie poursuivante hors de tout doute raisonnable. Ces différents principes ne trouvent pas écho en matière administrative. La décision de la Commission des lésions professionnelles ajoute que : [58] En l’espèce, le Tribunal retient du témoignage de monsieur Royer que le matériel en cause, soient les caméras de surveillance et le logiciel rattaché, ne présentent aucune défectuosité à la période concernée par les événements. Il retient également des dires de ce dernier que le transfert sur CD des données retrouvées sur les caméras de surveillance la matin du 9 février 2006 représentent sans l’ombre d’un doute une copie fidèle du film original, bien que fragmenté en quatre fichiers en raison des capacités limitées de l’ordinateur. Cette façon de faire n’entraîne aucune perte de données puisque le technicien choisit, par mesure de sécurité, de reproduire en double certaines séquences. Ce témoin est crédible et ne possède aucun intérêt à modifier l’intégralité du film puisqu’il entretient au moment des enregistrements de bonnes relations avec le travailleur qui se trouve à être son oncle. [59] La Commission des lésions professionnelles est également d’avis qu’il n’a pas été démontré que la présence non-constante du technicien informatique lors des enregistrements ait pu mettre en péril l’authenticité de la copie effectuée. La preuve présentée à cet effet révèle qu’aucun employé, quel qu’il soit, ne possédait en février 2006 les connaissances et qualifications requises pour altérer ou trafiquer les bandes vidéo en l’absence de monsieur Royer. Ce dernier ne les avait pas lui-même. [60] Enfin, le Tribunal rejette l’allégation de non-fiabilité de la copie pour cause de problèmes techniques se manifestant sous forme d’arrêts inexpliqués de l’image puisque ces défaillances sont clairement sans conséquence. En effet, il appert lors de ces interruptions impromptues que l’horloge de l’ordinateur s’arrête également pour redémarrer en même temps que la reprise d’images. Il n’en résulte par conséquent aucune perte de données.[6] Dans l’affaire Jobin c. Demers[7], le Tribunal s’est dit «satisfait de la preuve faite au regard de l’authenticité de l’enregistrement (Art. 2855, C.c.Q.). Rien ne permet de douter que le processus suivi par le demandeur ait été incorrect d’un point de vue technique, pas plus qu’il est possible de penser que l’enregistrement produit ait pu être modifié ou autrement trafiqué.»[8] À contrario, selon le Syndicat, le Tribunal ne peut se dire satisfait de l’authenticité d’un enregistrement vidéo au sens de l’article 2855 C.c.Q. lorsqu’on peut penser qu’il a été modifié, altéré ou autrement trafiqué. Il croit que la preuve d’authenticité est nécessaire afin de s’assurer qu’un enregistrement n’a pas été altéré. Le Tribunal est d’avis que le fait qu’il y ait eu montage d’images n’altère pas leur authenticité de ce seul fait. Le Petit Robert définit ainsi le mot « authenticité »: « qualité d’un écrit, d’un discours, d’une œuvre émanant réellement de l’auteur auquel on l’attribue ». Pour Le Petit Larousse illustré et le Multi dictionnaire de la langue française, le mot signifie « caractère de ce qui est authentique, vrai », tandis que l’adjectif « authentique » a pour sens, selon le premier, « dont l’exactitude, l’origine est incontestable », et, selon le second, « certain, incontestable ». D’après la preuve entendue, le Tribunal croit que l’origine des images est incontestable. Elles émanent de la société « Bélanger & Associés », qui a fait la filature de madame Cauchon. Le document que l’Employeur désire déposer en preuve a été confectionné par madame Lapointe. À cette étape-ci de l’audience, le Tribunal n’a pas à décider de sa force probante. Il fait sienne la décision que la Cour supérieure a rendue dans l’affaire Syndicat des chauffeurs de la Société de transport de la ville de Laval (CSN) et Ferland[9]. La Cour s’est alors exprimée ainsi : [37] Sans porter de jugement sur la valeur probante des vidéocassettes, l’arbitre était d’avis qu’elles étaient recevables en preuve «eu égard à toutes les circonstances de l’affaire», en s’appuyant principalement sur l’opinion du Juge Beauregard dans l’arrêt de Roy c. Saulnier[10], il a rejeté l’argument du Syndicat que l’altération de cette preuve l’empêchait de présenter une défense pleine et entière. [38] Tout comme dans la présente affaire, il s’agissait dans l’affaire Roy, une opposition à la preuve d’un document sonore fondée sur le motif que l’une des parties au litige avait sélectionné des parties des enregistrements qu’elle jugeait pertinentes et les avait repiquées sur une autre cassette. Selon le juge Beauregard, un tel procédé ne rend nécessairement pas inadmissible la production de la cassette repiquée. [39] À ce propos, les commentaires suivants du juge Beauregard sont pertinents : « Une bande sonore est un moyen de preuve au même titre qu’une photographie ou un écrit. Avant de pouvoir servir, elle doit, comme une photographie et comme un écrit, avoir une valeur probante. Cette valeur probante s’apprécie sous l’éclairage de toutes les circonstances ayant entouré la confection de la preuve matérielle. En l’espèce, le fait que les conversations entre l’intimée et des tiers ont été repiquées sur une cassette n’est qu’une de ces circonstances. Le témoignage de l’appelant à l’effet qu’il a simplement laissé de côté les conversations téléphoniques non pertinentes peut, s’il est cru par le Juge, rendre non pertinent le fait qu’il y a eu repiquage. Avant de rejeter du revers de la main l’élément de preuve apporté par la cassette repiquée, au moins faut-il connaître le sentiment de l’intimée sur ce que cette cassette fait entendre. On ne peut présumer que l’intimée niera que la cassette reproduit fidèlement les conversations qu’elle a pu avoir avec des tiers et qui sont pertinents au litige. Il est également possible les interlocuteurs de l’intimée confirmeront (sic) l’authenticité de l’enregistrement de leurs conversations avec l’intimée. Il ne s’agit pas d’une cause qui est plaidée devant un jury, où il est plus impérieux que le juge décide au départ s’il y a lieu ou s’il n’y a pas lieu de permettre la production d’une pièce. Dans un procès qui se déroule devant un juge seul, la recevabilité d’une pièce par le juge n’emporte pas nécessairement que celui-ci trouvera cette pièce probante. Au soir du procès, après avoir entendu toute la preuve, le juge peut très bien décider que telle pièce n’a aucune fiabilité et refuser d’y accorder quelque valeur probante. » [40] À l’instar de la Cour d’appel dans l’affaire Roy, l’arbitre a conclu que les circonstances entourant la confection des vidéocassettes devront être appréciées qu’au moment où il statuera sur leur fiabilité et en détermina alors la force probante. Or, le tribunal ne peut contester ce raisonnement. En fait, l’utilisation d’un enregistrement constitue souvent une meilleure preuve que le souvenir des parties. L’enregistrement peut aussi démontrer que le témoignage à l’égard d’un élément de fait est faux. En cas de doute, il vaut mieux l’inclure que l’exclure de la preuve, quitte à déterminer ultérieurement sa valeur probante. [41] Pour conclure, le tribunal estime qu’il n’était pas déraisonnable pour l’arbitre de permettre la production de deux vidéocassettes et de rejeter ainsi l’opposition du Syndicat. La décision de l’arbitre n’est ni irrationnelle ni dénuée de sens commun. S’agissant aussi d’une décision interlocutoire, le tribunal ne voit pas non plus aucun motif valable pour lequel il devrait intervenir dans cette affaire avant même que l’arbitre rende sa décision sur le fond du litige. ” “ Si l’enregistrement vidéo que l’Employeur compte mettre en preuve est authentique et répond ainsi à l’exigence de l’article 2855 C.c.Q., il est néanmoins le fruit de choix que madame Lapointe a faits lors du montage des images. Les images retenues ne représentent qu’une petite partie de ce qui a été tourné. Cela est tout particulièrement vrai pour la journée du 2 juillet 2009. Le rapport des enquêteurs montre qu’ils ont tourné entre 12h55 et 16h. Il est vrai que les caméras n’ont pas fonctionné en continu. Il demeure que le montage ne donne que cinq minutes et 46 secondes. Il est possible que seules ces images soient pertinentes. Les réponses que madame Lapointe a fournies ont pu contribuer à atténuer la perplexité du Syndicat et de sa procureure quant à leur choix. Le visionnement de l’intégralité des images tournées dissiperait cependant tout doute qui pourrait subsister. Malgré les réponses de madame Lapointe aux questions des procureurs et la preuve d’authenticité qui a été faite, si le Syndicat désire s’imposer le visionnement, sans doute quelque peu fastidieux, de toutes les images tournées afin que madame Cauchon ait l’assurance que ses droits sont sauvegardés et que la défense qu’elle présentera puisse être pleine et entière, le Tribunal croit qu’il devrait en avoir la possibilité. L’Employeur prendra donc les dispositions pour qu’un tel visionnement soit organisé aux bureaux de la société « Bélanger & Associés ». À la demande du Syndicat, le cas échéant, la Société transposera sur disque et lui remettra des images qui ne paraissent pas sur celui que l’Employeur lui a fait parvenir. ” Dernière modification : le 14 août 2012 à 12 h 18 min.