Développement

 

1. Définition de l’ASSP

1.1 Existence d’un acte juridique

1.2 Existence d’une signature

2. Preuve de l’ASSP

2.1 Régime général de preuve de l’ASSP

2.2 Contestation de l’ASSP

3. Interprétation de l’ASSP

3.1 Peut-on former un ASSP avec une vidéo?

3.2 Spécificités des ASSP sur Internet ?

3.3 Signature et testament

___________________________________________________

 

1. Définition de l’acte sous seing privé

[1] Au départ, et contrairement au Code civil du Bas Canada [LAVALLÉE+ROYER, 2008, #326], le CCQ a pris le soin de définir avec précision ce moyen de preuve à l’article 2826:

« L'acte sous seing privé est celui qui constate un acte juridique et qui porte la signature des parties; il n'est soumis à aucune autre formalité. »

On établit donc avec cette disposition deux conditions cumulatives à son existence: une est substantielle; l’autre est formelle. La première s’intéresse à l’acte juridique lui-même dont la réalisation pourrait laisser croire qu’elle n’est pas en soi bouleversée par le fait qu’il soit technologique ou non. En revanche, la signature, si elle peut évidemment être technologique, a donné lieu à de nombreuses analyses afin de s’assurer qu’elle ne soit pas une formalité associée au seul support papier.

[] une chose est sûre, conformément à la volonté de la Loi de centrer la preuve sur la notion de document en modifiant le moins possible les règles existantes [Article 3] [GAUTRAIS+GINGRAS, 2010, #294], un acte sous seing privé peut être technologique. Comme tous les autres moyens de preuve (sauf la présomption qui n’est pas un document à proprement parler) [Article 3] [Document, #5], l’acte sous seing privé peut être aussi bien sur support papier ou technologique, dès lors que les deux conditions requises par le CCQ sont par ailleurs réunies.

 

1.1 Existence d’un acte juridique

[2] Dans la mesure où notre propos s’intéresse particulièrement à la spécificité technologique, nous ne développerons que peu la notion d’acte juridique qui a déjà été envisagée par d’autres. À titre d’exemple, on peut citer le professeur Royer qui considère que la notion

« doit être prise dans son sens générique et désigne notamment toute manifestation de volonté, bilatérale ou unilatérale, faite dans le but de créer, de modifier, de céder ou d’éteindre un droit. » [ROYER+LAVALLÉE, 2008, #337]

Le contrat est évidemment la référence première à laquelle on pense en pareil cas; mais il est bien entendu possible d’ajouter des actes unilatéraux comme par exemple le testament, le paiement, etc., et ce, même si des régimes spécifiques s’appliquent à ces actes juridiques en particulier.

[3] Dans le cadre de cette définition, c’est principalement la question de la manifestation de volonté qui nous apparaît devoir être envisagée dans une perspective technologique. En effet, conformément à la citation précédente, il doit y avoir une manifestation de volonté de la part de la ou les personnes qui s’obligent. Comme son nom le laisse entendre, cette manifestation va se réaliser dans le cas de l’acte sous seing privé avec la signature que nous allons envisager plus tard; celle-ci est le moyen parmi d’autres que ce procédé de preuve impose comme unique formalité pour la validité de l’acte. Mais avant ce comportement actif pour signifier son approbation, encore faut-il que l’intéressé soit en mesure de bien comprendre ce à quoi il s’engage. À cet égard, il importe de s’intéresser aussi à la communication des documents en ligne, et avant que le consentement des parties au contrat soit manifesté, un contrat constitue un moyen de communiquer une information en utilisant un médium (oralité – papier – technologique) comme support. Or, le support électronique dispose de spécificités dont il est impérieux de tenir compte. Nous aimerions en identifier quatre, qui peuvent constituer autant de pathologies rédactionnelles.

[GUIDE FONDATION DU BARREAU, 2005, #23]

 

1.1.1 Lisibilité de l’écran

[4] L’écran de nos ordinateurs est assurément une nouvelle forme écriture. Sans forcément adhérer au point de vue extrême de Marshall McLuhan, selon lequel le médium est le message [WIKIPEDIA, 2012, 247 révisions], il nous apparaît évident que les caractéristiques d’un support vont avoir des effets sur le contenu informationnel d’un document. Sur le plan juridique, le concept de lisibilité est sous-jacent à la connaissance et à la volonté propre à l’acte juridique. On peut difficilement «vouloir» ce que l’on ne comprend pas; ce que l’on comprend mal. Le concept de lisibilité est aussi à l’occasion juridiquement appréhendé. On peut par exemple citer l’article 1399 CCQ qui réfère pour le contrat à un consentement libre et éclairé; de la même manière, l’article 1436 C.c.Q. prévoit pour le cas particulier de certains contrats que les éléments suivants soient respectés :

« Dans un contrat de consommation ou d'adhésion, la clause illisible ou incompréhensible pour une personne raisonnable est nulle si le consommateur ou la partie qui y adhère en souffre préjudice, à moins que l'autre partie ne prouve que des explications adéquates sur la nature et l'étendue de la clause ont été données au consommateur ou à l'adhérent. »

La lisibilité d’un acte juridique doit selon nous être revisitée en tenant compte de la réalité électronique, précisément d’Internet. Jakob Nielsen, spécialiste en communication électronique, fut l’un des protagonistes à l’affirmer haut et fort, parvenant à quantifier les lacunes du support électronique par rapport au papier [NIELSEN, 1997]. Ainsi, il se fit notamment connaître en prétendant qu’il fallait repenser l’écriture pour obtenir un niveau d’efficacité comparable à celui du papier.

 

1.1.2 Dynamisme du contrat électronique

[5] Dans le même ordre d’idées, Ethan Katsh croit que le contrat électronique présente la spécificité par rapport au papier d’être caractérisé par trois caractéristiques importantes que sont l’intemporalité, l’interactivité et le dynamisme [KATSH, 1995, #132]. C’est ce dernier point que nous voulons développer ici selon lequel le contrat électronique n’a plus la stabilité de l’équivalent papier et en pratique les parties ont désormais la possibilité de modifier le contrat beaucoup plus facilement. D’ailleurs, cet élément s’avère monnaie courante dans les faits, les contrats de cyberconsommation disponibles sur Internet nous montrant en effet de façon presque systématique qu’ils détiennent une clause prévoyant que le cybermarchand s’octroie le droit de modifier à sa guise le contrat initial, à charge pour le consommateur de régulièrement vérifier qu’aucune clause n’ait été modifiée ou ajoutée. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en 2009 la Loi sur la protection du consommateur a été modifiée afin de rendre illégal ce type de pratique:

« 11.2: Est interdite la stipulation prévoyant que le commerçant peut unilatéralement modifier le contrat à moins que cette stipulation ne prévoie également:

a) les éléments du contrat pouvant faire l'objet d'une modification unilatérale;

b) que le commerçant doit, au moins 30 jours avant l'entrée en vigueur de la modification, transmettre au consommateur un avis écrit, rédigé clairement et lisiblement, contenant exclusivement la nouvelle clause ou la clause modifiée ainsi que la version antérieure, la date d'entrée en vigueur de la modification et les droits du consommateur énoncés au paragraphe c;

c) que le consommateur pourra refuser cette modification et résoudre ou, s'il s'agit d'un contrat à exécution successive, résilier le contrat sans frais, pénalité ou indemnité de résiliation, en transmettant un avis à cet effet au commerçant au plus tard 30 jours suivant l'entrée en vigueur de la modification, si la modification entraîne l'augmentation de son obligation ou la réduction de l'obligation du commerçant.

Toutefois, à moins qu'il ne s'agisse d'un contrat de service à durée indéterminée, une telle stipulation est interdite à l'égard d'un élément essentiel du contrat, notamment la nature du bien ou du service faisant l'objet du contrat, le prix de ce bien ou de ce service et, le cas échéant, la durée du contrat.

La modification d'un contrat faite en contravention des dispositions du présent article est inopposable au consommateur.

Le présent article ne s'applique pas à une modification d'un contrat de crédit variable visée à l'article 129. »

 

1.1.3 Longueur du contrat

[6] Une autre façon de faire pour le moins pathologique que la pratique des contrats en ligne semble nous apprendre est que les commerçants usent, voire abusent, de l’absence de contraintes physiques que l’électronique présente. Si certains contrats devaient être reproduits sur papier, les documents ainsi obtenus feraient parfois jusqu’à plus d’une centaine de pages. Sur un support physique, on ne peut pas toujours proposer un contrat de plusieurs pages dans la mesure où le contrat risquerait d’être plus encombrant que le produit lui-même. De plus, des éléments de coûts sont directement associés à la « publication » et à la modification du contrat papier. Sur un support électronique, la mise à la disposition du document est sans limite physique voire financière. Or, l’influence de la longueur est directe sur la compréhension du lecteur. Néanmoins, dans l’affaire traitée devant la Cour suprême [Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007], le plus haut tribunal du pays n’a pas retenu cette spécificité. Plus précisément, les juges ont considéré que preuve n’avait pas été faite que le document est difficilement accessible:

« [103] (...) Comme il a été mentionné précédemment, l’hyperlien en surbrillance paraît à chaque page à laquelle le consommateur accède et il n’a été présenté aucune preuve permettant de conclure que le texte était difficile à repérer à l’intérieur du document, ou qu’il était difficile à lire ou à comprendre. » [Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007, #103]

Pourtant, la longueur nous semble d’autant plus problématique que le destinataire du contrat électronique a des attentes de vitesse et qu’il procède ainsi souvent pour gagner du temps. Aussi, nous croyons devoir dénoncer cette tendance malheureuse des contrats « au kilo » qui n’est que peu sanctionnée par les juges. Les commerçants peuvent donc se prémunir de toute situation nouvelle; leurs avocats sont sans doute ravis d’une pareille source de financement… Une chose est sûre, ces pages de contrats sans fin obligent plus souvent qu’autrement le lecteur-consommateur à faire du défilement (scrolling); une autre situation jugée comme étant le meilleur moyen de s’assurer que le lecteur ne lira pas.

 

1.1.4 Usage immodéré des hyperliens

[7] Base même d’Internet, initiant le passage d’une page vers une autre, plusieurs sites utilisent allégrement les liens hypertextes dans leurs contrats de cyberconsommation. L’outil est intéressant dans la mesure où il donne l’accès au document auquel on se réfère, ce qui en soit est mieux que de simplement citer. Par exemple, le commerçant va se référer à un code de conduite, à un règlement d’arbitrage, etc. mais trop de liens est également susceptible de créer une certaine confusion. Aussi, ce comportement demande à être socialement et psychologiquement appréhendé, ce qui n’est pas encore le cas semble-t-il. Plutôt que de s’associer à un texte, se l’approprier, le «cyberlecteur», conformément aux propos de Christian Vandendorpe, «zappe» [VANDENDORPE, 1997, #14], butine. L’auteur écrit à ce sujet :

« Comment retenir le lecteur de cliquer tous azimuts, et de passer ainsi à côté de développements que l’auteur considère comme importants? En soi, chaque bouton à cliquer est une invitation à aller plus loin, une promesse de contenu. » [VANDENDORPE, 1997, #14]

Le lien enlève donc la linéarité du papier ce qui ne peut pas être sans conséquence dans la compréhension du lecteur, surtout lorsqu’il est consommateur. La pratique est d’ailleurs troublante à ce sujet. Outre un abus parfois déraisonnable des hyperliens, certains ne fonctionnent pas toujours, ce qui a pour effet de «distraire» le cyberconsommateur sans lui donner accès au contenu. Ce travers a déjà été plusieurs fois constaté, notamment dans le domaine des prestations de certification d’identité et de qualité, les contrats faisant parfois référence à plusieurs centaines de pages de documents techniques qui sont, par référence, intégrés au contrat.

 

1.2 Existence d’une signature

[8] Nous ne voulons pas traiter ici en profondeur de l’exigence de la signature qui l’a été passablement plus à un autre endroit du présent site [Signature]. Simplement, en premier lieu, et en se basant sur l’article 2827 CCQ, nous pouvons nous limiter à rappeler que la jurisprudence québécoise est relativement libérale pour admettre l’existence d’une signature, tant en ce qui a trait à sa qualité d’«instrumentum» que d’«actum» [Signature, #7]. Ainsi, signature technologique ne veut pas forcément utilisation d’un procédé élaboré, compliqué.

« On peut être tenté de qualifier ce contrat d’écrit instrumentaire non signé ou de poser l’exigence que, pour avoir qualité d’écrit instrumentaire signé, il faut que la signature soit faite par un procédé technique complexe à l’abri de toute fraude ou garantie par un tiers certificateur d’une fiabilité élevée. Ce serait confondre deux choses : d’une part, la présence d’une signature et, d’autre part, la preuve de l’authenticité de cette signature. Si une personne reconnaît l’authenticité de la signature de son cocontractant sur les courriels échangés, la signature apposée dans sa forme la plus simple suffit à qualifier le résultat d’écrit sous seing privé. » [FABIEN, 2004, #553]

Bien sûr, ce laxisme dépend de la finalité, de la fonction, pour laquelle la formalité est requise [Équivalence fonctionnelle]. En l’occurrence, si sa fonction est évidemment de nature probatoire, elle est sans doute plus que cela. Il semble également possible d’y attacher un rôle « assurantiel » [BELLEY, 1996], « a cautionary function » [FULLER, 1941]. En effet, nous le verrons (au paragraphe 2.2), le régime de l’acte sous seing privé assure une certaine «valeur» qui est directement associée à la signature. Sa contestation est donc encadrée et plus difficile à faire que les autres écrits.

[9] D’ailleurs à ce propos, en second lieu, et conformément à une volonté de facilitation de la preuve, il importe de rappeler que l’existence, ou non, de la signature dans le cadre d’un acte juridique n’a pas pour effet de rendre la preuve en question inutilisable. Dans l’hypothèse où la signature n’est pas considérée comme étant satisfaite, le régime des autres écrits pourra toujours s’appliquer [Autre écrit] [ROYER+LAVALLÉE, 2008, #333].

« L’enjeu de la qualification est réel. Quand le support du contrat est qualifié d’écrit sous seing privé, la partie qui l’a signé ne peut pas, en principe, en contredire le contenu par preuve testimoniale pour prouver qu’il n’exprime pas la véritable intention des parties (art. 2863 C.c.Q.). Si l’écrit n’est pas signé, les parties à la convention peuvent contredire l’écrit par tous moyens pour prouver la véritable intention des parties (art. 2836 C.c.Q.). » [FABIEN, 2004, #554]

 

2. Preuve de l’acte sous seing privé

[10] Comme il est généralement établi auprès des autorités en droit de la preuve [ROYER+LAVALLÉE, 2008, #337] [DUCHARME, 2005, #356], la preuve de l’acte sous seing privé doit être envisagée différemment selon que celle-ci est faite par une partie (et accessoirement un héritier) ou par un tiers. Ceci dit, et dans la mesure où nous envisageons la question de la preuve de l’acte sous seing privé dans une perspective technologique, il nous apparaît pertinent de prendre une certaine distance avec cette dichotomie. À titre d’exemple, l’article 2830 CCQ quant à la preuve de la date vis-à-vis des tiers va s’appliquer identiquement selon que l’acte est sur support papier ou numérique. Aussi, nous basant sur les deux alinéas de l’article 2828 CCQ, nous allons d’abord envisager le régime général pour ensuite développer quelque peu le régime de contestation.

 

2.1 Régime général de preuve de l’ASSP

[11] Sur le plan factuel, et même si rien n’empêche que ce type de procédé de preuve ne se développe dans l’avenir, pour le moment, nous ne constatons pas, dans la jurisprudence, une croissance importante de litiges s’y rapportant [GAUTRAIS+GINGRAS, 2010, #294]. En fait, nous n’avons pas été en mesure de constater pour le moment l’existence d’un «vrai» écrit sous seing privé technologique. Par exemple, le fichier word, imprimé (et donc sujet à un transfert [Transfert]) puis signé par les parties de façon manuscrite perd son caractère technologique initial. Il est uniquement sur support papier, les signatures manuscrites ayant fait de lui un nouveau document; la documentation du transfert n’est alors pas requise. Mais à la différence du testament dont le formalisme qui y est attaché l’empêche d’être tout technologique (voir plus loin le point 3.3), on pourrait très bien avoir un contrat signé par le biais d’une marque lors d’échange de courriels, de signature numérique valant signature selon 2827, voire même d’un contrat par le biais de vidéos (voir plus loin le point 3.1).

[12] Conformément au régime général, la preuve d’un acte sous seing privé incombe à celui qui l’invoque, et ce, sur la base de l’article 2828 CCQ:

« Celui qui invoque un acte sous seing privé doit en faire la preuve.» [Article 2828]

Cette règle qui origine du droit romain (actor incombit probatio) est la règle traditionnelle au regard des procédés de preuves qui ne bénéficient pas d’une force probante «augmentée» comme peut l’être par exemple un acte authentique. Aussi, et sous réserve d’un consentement de la partie adverse, qui est souvent de mise, la preuve de l’acte sous seing privé devra être assurée soit par l’original du document ou une copie certifiée qui légalement en tient lieu [Article 2860]. Ceci dit, dans la mesure où l’article 2841 CCQ prévoit deux modes différents de reproduction, il est surprenant que l’article 2860 n’intègre pas cette possibilité autre que la copie que constitue le transfert. C’est pourquoi, au-delà de la copie, les alinéas 1 et 3 devraient référer au transfert qui lui aussi pourrait «légalement tenir lieu» d’original. Une équivalence qui se trouve remarquons à l’article 2841 CCQ [Article 2841].

[13] Quoi qu’il en soit, que la preuve de l’acte sous seing privé soit effectuée par un original, une copie certifiée ou un transfert documenté, il importe en tout état de cause que l’intégrité du document soit assurée [Intégrité] [Article 6]. Ceci est d’abord requis pour une question de force probante. En effet, la Loi a fait de ce critère l’élément central qui doit être démontré. On le retrouve ainsi évidemment dans la généralité de l’exigence que l’on dispose à l’article 5 [Article 5] mais il est aussi spécifiquement associé à la preuve de l’acte sous seing privé à l’article 2838 CCQ [Article 2838]. Ensuite, le recours à l’intégrité s’impose également en terme d’admissibilité des documents, et ce, en conformité avec la règle de la meilleure preuve. En premier lieu, l’original qui peut être produit en preuve réfère en effet à ce critère explicitement:

«Un document technologique peut remplir les fonctions d’un original. À cette fin, son intégrité doit être assurée (...) » [Article 12]

[14] En deuxième lieu, il en est de même avec la copie où les modalités relatives au maintien de son intégrité ont été développées avec une précision assez grande:

« Pour assurer l'intégrité de la copie d'un document technologique, le procédé employé doit présenter des garanties suffisamment sérieuses pour établir le fait qu'elle comporte la même information que le document source.

Il est tenu compte dans l'appréciation de l'intégrité de la copie des circonstances dans lesquelles elle a été faite ainsi que du fait qu'elle a été effectuée de façon systématique et sans lacunes (...).

La copie effectuée par une entreprise au sens du Code civil ou par l'État bénéficie d'une présomption d'intégrité en faveur des tiers. » [Article 15]

Un régime de base qui requiert de surcroît que la copie soit certifiée, à savoir, une procédure assez simple, et ce, même si l’outil «n’est pas d’un grand intérêt pour l’entreprise soucieuse de régler son problème d’archivage de documents papier» [MARSEILLE+LESCOP, 2008, #45]. Une procédure qui réfère au qualificatif de «identique», à savoir, un adjectif qui n’est pas éloigné de l’intégrité [Article 16].

[15] En troisième lieu, et comme les deux premiers moyens d’admettre en preuve un document, le transfert documenté axe sa raison d’être autour de la notion d’intégrité. Cette qualité apparaît clairement à l’article 17 al. 2 et 3 qui dispose

« que le document résultant du transfert comporte la même information que le document source et que son intégrité est assurée.

La documentation comporte au moins la mention du format d'origine du document dont l'information fait l'objet du transfert, du procédé de transfert utilisé ainsi que des garanties qu'il est censé offrir, selon les indications fournies avec le produit, quant à la préservation de l'intégrité, tant du document devant être transféré, s'il n'est pas détruit, que du document résultant du transfert. » [Article 17]

[16] Ceci dit, de nombreuses exceptions sont reconnues par le CCQ, au-delà du fréquent consentement de la partie adverse [ROYER+LAVALLÉE, 2008, #1288]. Sans aller dans le détail de leur énumération (commencement de preuve, absence ou perte de l’original, etc.), elles correspondent à une tendance tant législative que jurisprudentielle qui se trouve aussi bien en droit de la preuve civile traditionnelle [FABIEN, 2012] qu’en ce qui a trait à la preuve technologique [Article 7] [Article 9] [Article 10] [Article 11].

 

2.2 Régime de contestation de l’ASSP

[17] Un régime dérogatoire important prévaut relativement à la contestation d’un tel acte, et ce, en conformité avec l’article 2828 al.2 CCQ.:

« 2828. Toutefois, l'acte opposé à celui qui paraît l'avoir signé ou à ses héritiers est tenu pour reconnu s'il n'est pas contesté de la manière prévue au Code de procédure civile (chapitre C-25). » [Article 2828]

Il est ainsi fait une référence expresse à l’article 89 CPC qui requiert la satisfaction de cinq conditions cumulatives pour que cette procédure soit suivie: 1) avoir un acte sous seing privé 2) invoqué lors d’une procédure 3) opposé à un signataire 4) lorsque l’original est en la possession de celui qui l’invoque et 5) que le litige porte sur la signature ou une partie importe de l’acte [DUCHARME, 2005, #359-370]. Nous n’entendons pas revisiter ici cette disposition [Article 89]; aussi, nous nous limiterons à présenter les trois points suivants. D’abord, il faut comprendre l’article 89 CPC dans la volonté législative consacrée dans chacune des couches de changements législatifs (1965 - 1992 - 2001) de faciliter la preuve des actes instrumentaires signés dans la mesure où ils constituent des documents sur lesquels on peut assurer une certaine «confiance». Ensuite, nous ne pouvons que constater l’impossible réconciliation entre 2828 CCQ et 89 al. 4 tel qu’écrit en 2001. En effet, alors que l’ancien article 89 al. 4 se comprenait dès lors qu’il était confronté à l’ancien article 2838 (abrogé en 2001), il est pour le moins difficile de faire de même avec la nouvelle rédaction de cette même disposition qui est beaucoup plus large [Article 89, #6]. Enfin, il y a évidemment un risque de chevauchement entre les alinéas 1 (portant sur une partie importante d’un écrit sous seing privé), 2 (relatif à la signature) et 4 (relatif au document technologique en général).

 

3. Interprétation de l’ASSP

[18] Plusieurs illustrations nous semblent pouvoir être présentées relativement à l’acte sous seing privé. Une première correspond à une activité courante, de plus en plus effectuée, à savoir celle de contracter en ligne, et ce, notamment, en matière de consommation. La deuxième est plus «futuriste» et concerne l’hypothèse où des actes sous seing privés pourraient être conclus par le biais d’une vidéo, voire d’un enregistrement. En troisième lieu, nous présenterons le cas plus précis du testament sur support technologique.

 

3.1 Peut-on former un ASSP avec une vidéo?

(Voir les développements disponibles à ce sujet dans le document sur la notion d'écrit)

3.2 Spécificités des ASSP sur Internet ?

[] La présente question nous apparaît intéressante d’abord et avant tout parce qu’elle n’est pas nouvelle. Dans les années quatre-vingts, plusieurs spécialistes en droit de la preuve se posèrent en effet cette question, avec des positions radicalement différentes.

« aussi nous semble-t-il permis de croire que l’enregistrement pourra, un jour, être admis au même titre que les écrits sous seing privé » [PATENAUDE, 1986].

Dans le même sens:

« l’avant projet de loi devrait s’assurer de donner au terme «écrit» une interprétation telle que vidéos et bandes sonores ainsi que rapports d’imprimantes soient considérés comme des écrits » [PATENAUDE, 1988]

De l’autre côté, le professeur Ducharme s’oppose à cette tolérance:

« ce qu’on oublie, c’est que ces nouveaux procédés techniques ne sont que des modes de conservation de la parole et qu’ils ne peuvent en aucun cas être assimilés à l’écrit » [DUCHARME, 1993]

Deux questionnements nous semblent devoir être envisagés ici: une vidéo ou un enregistrement audio peut-il être un écrit ? Peuvent-ils être ensuite une signature ? Relativement à la première question, nous avons déjà considéré qu’au Québec, aucun empêchement formel n’interdit qu’un écrit puisse être préconstitué oralement ou en vidéo dès lors que les fonctions qui y sont attachées sont satisfaites [Écrit, #13]. L’article 2837 CCQ offre de surcroît une souplesse que l’on ne trouve d’ailleurs pas dans d’autres juridictions. Nous sommes donc assurément en accord avec les propos du professeur Patenaude, d’ailleurs repris par d’autres.

En ce qui a trait à la seconde question, et en se basant sur le même principe interprétatif que constitue l’équivalence fonctionnelle [Équivalence fonctionnelle], nous croyons qu’une signature pourrait très bien être vocale ou filmé. En premier lieu, aucun empêchement formel ne semble pouvoir être identifié, la définition de signature étant, sauf exception prévue dans une loi, aucunement attaché au papier. En second lieu, c’est donc bien au regard d’une approche fonctionnelle que la réalisation de la signature doit être évaluée. Les fonctions attachées à la signature en tant qu’instrumentum ainsi qu’en tant qu’actum [Signature]. Relativement à l’instrumentum, ce sont principalement les fonctions de preuve et de «prise de conscience» (cautionary function pour reprendre l’expression de Lon Fuller) [FULLER, 1941, #899-900] qui doivent être considérées. Alors que la première peut assez facilement se «traduire» dans une vidéo ou un enregistrement audio, assurément, la seconde fonction est passablement plus délicate à transposer et à appliquer. En ce qui a trait à la signature en tant qu’actum, il s’agit de considérer la satisfaction des deux fonctions identifiées à l’article 2827 CCQ dont l’interprétation jurisprudentielle demeure pour le moins libérale au Québec. Ce point de vue pour le moins permissif à ce qu’un ASSP puisse être enregistré ou filmé, selon les cas et selon l’existence ou non de dispositions particulières, est d’ailleurs partagé par le professeur Fabien:

« Si les parties ont voulu utiliser le système d’enregistrement pour se ménager une preuve de leur accord, de la même manière qu’ils auraient pu utiliser du papier ou un ordinateur, il faut alors donner effet à leur volonté en qualifiant d’écrit le document ainsi produit. L’enregistrement de leur accord et les caractéristiques physiques uniques de leur voix ou de leur image correspondent à l’essence de la signature et devraient permettre la qualification d’écrit instrumentaire signé. » [FABIEN, 2004, #564]

 

3.3 Signature et testament

[] Cette question sur les testaments olographes fut préalablement traitée dans la définition «Signature» [Signature, #3.2]


Dernière modification : le 1 juin 2017 à 12 h 01 min.