Table des matières :

1 – Règle de la meilleure preuve et l’article 2860 C.c.Q.

A – Accueil grandissant de la recevabilité de la notion d’original

i) Admissibilité élargie de l’original en général

ii) Admissibilité élargie liée à la raison d’être de la règle de la nécessité de l’original

B – importance grandissante de la force probante des preuves secondaires

2 – Généralités autour de l’article 12 L.c.c.j.t.i.

3 – Fonctions de l’original

A – Source première

B – Caractère unique

C – Forme première d’un document reliée à une personne

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[1] L’original n’est plus ce qu’il était… Considéré autrefois comme la pierre angulaire de la preuve documentaire, il a perdu dans les faits de son utilité, notamment à cause de la duplication pratique du support papier et de la multiplication des exceptions à la règle de la meilleure preuve. Le problème s’est encore davantage corsé avec l’avènement des technologies de l’information tant cette notion est intimement liée au papier. Or, vouloir l’appliquer, l’adapter au support numérique, c’est traiter d’un concept dont le lien avec la matière physique est inhérent.
[2] En droit québécois de la preuve civile, au-delà de l’article 2860 al. 1 C.c.Q. qui considère la notion de l’original dans sa généralité, la disposition qui s’intéresse au « passage » de celui-ci du papier vers le numérique est directement attribuable à l’article 2860 al. 3 qui réfère expressément à l’article 12 de la Loi [Article 12]et à ses trois fonctions qui que cette disposition a pris le soin d’identifier ; non sans difficultés interprétatives.

1 – Règle de la meilleure preuve et l’article 2860 C.c.Q.

[3] Avec le numérique, on est dans une situation où l’identification de l’original pose problème. D’ailleurs, la jurisprudence n’échappe pas à ce flou [R. c. Ladouceur, #17]. Face à ces doutes, il est judicieux de retourner en arrière et d’identifier la raison d’être de cette règle de recevabilité puis ensuite d’évaluer s’il ne serait pas judicieux de montrer qu’en certains cas, l’original est d’abord et avant tout une question de force probante.

A – Accueil grandissant de la recevabilité de la notion d’original

[4] La recevabilité élargie de l’original nous semble pouvoir être justifiée tant par une volonté générale de considérer la « règle de la meilleure preuve » comme un postulat qui doit s’interpréter largement, que par la spécificité technologique qui rend le principe difficile à transposer.

i) Admissibilité élargie de l’original en général

[5] Le postulat est simple : l’original d’un écrit est traditionnellement considéré comme la meilleure preuve possible [LANGELIER, 1895, #238]. Mais pour être plus précis,

« l’expression « règle de la meilleure preuve » est absente du Code civil. Elle nous vient de l’article 1204 C.c.B-C. qui prévoyait ceci : « La preuve offerte doit être la meilleure dont le cas, par sa nature, soit susceptible (…) » » [MARSEILLE + LESCOP, 2008, #26].

Avec l’article 2860 C.c.Q., on a voulu élargir la permissivité de la règle [DUCHARME, 1992, #59]. On a aussi changé l’expression de la meilleure preuve pour y substituer la « nécessité de produire l’original ou une copie qui légalement en tient lieu » [MARSEILLE + LESCOP, 2008, #1]. Certains auteurs font le constat fort intéressant que l’ancien droit du C.c.B-C. était paradoxalement plus facilement adaptable aux nouvelles technologies [DE SAINT EXUPÉRY, 2012, #54-55]. Sans doute dans la mesure où l’original est difficile à identifier dans le monde numérique alors que la meilleure preuve pourrait facilement être associée à une copie par exemple qui est dûment certifiée ou un transfert correctement documenté. Parmi les questions qui nous semblent devoir être posées, deux sont particulièrement importantes dans le contexte technologique.
[6] En premier lieu, il importe de rappeler que la règle de la meilleure preuve ne vaut que pour les écrits [MARSEILLE + LESCOP, 2008, #2]. Et cela semble très bien convenir avec la définition que nous faisons de l’écrit à savoir un document préconstitué [Écrit], qu’il soit papier ou technologique. Cette préconstitution est dans la nature de l’écrit mais aussi de la règle de la meilleure preuve [MARSEILLE + LESCOP, 2008, #4]. Sous réserve d’une exception, aucune photocopie ne peut donc être employée [ROYER + LAVALLÉE, 2008, #1261]. Cela vaut aussi pour les autres écrits instrumentaires non signés répondant à l’article 2831 C.c.Q. qui ont été préconstitués dans le cours des activités de l’entreprise [Autre écrit]. Nous avons en revanche plus de difficultés à concilier que cela puisse s’appliquer aux écrits non instrumentaires qui relèvent davantage du témoignage, et donc de la prohibition du ouï-dire, et ce, en dépit d’une doctrine unanime [DUCHARME, 2005, #1182; ROYER + LAVALLÉE, 2008, #1259;  PHILLIPS, 2010, #195-210; MARSEILLE + LESCOP, 2008, #11].

[7] En second lieu, il faudra évaluer si cette permissivité doit s’appliquer quant à l’existence même de l’original. Car la doctrine est loin d’être unanime : certains voit clairement l’existence d’un original et considèrent qu’

« [a]vec égard pour l’opinion contraire, la production de l’original d’un document technologique est selon nous tout à fait concevable. Par exemple, un fichier informatique original contenu sur une unité de mémoire de masse aisément transportable (tel un cédérom) peut être produit tel quel, pour autant bien sûr que son authenticité soit établie et son intégrité assurée. » (les notes de bas de page ont été ôtées) [MARSEILLE + LESCOP, 2008, #56]

Cette possibilité conceptuelle n’est pas en revanche sans défis sur le plan pratique [MARSEILLE + LESCOP, 2008, #56]. À un point que d’autres considèrent qu’il n’existe pas, pour le moment du moins [FABIEN, 2004, #596]. En fait, ces auteurs semblent dire la même chose : les uns affirment que l’original existe mais demande à être « reproduit » pour être présenté devant le juge et l’autre pense davantage que l’original n’existe pas du fait de sa reproduction. Ce débat nous semble relever davantage d’un questionnement comparable au fait de savoir si c’est l’œuf ou la poule qui vint en premier. Une chose est sûre, la production en cour demandera presque nécessairement une copie ou un transfert , répondant aux exigence de l’article 2841 C.c.Q. Une certification ou une documentation sera donc requise ; une preuve externe donc, ce qui n’est d’ailleurs pas l’apanage des seuls documents technologiques.

ii) Admissibilité élargie liée à la raison d’être de la règle de la nécessité de l’original

[8] Même si la « meilleure preuve » n’est plus l’expression officiellement de mise, il n’en demeure pas moins que la nécessité de l’original origine de ce premier principe ; c’est-à-dire d’un principe dont les

« origines remontent à une époque où les contrats se rédigeaient plume à la main. » [PHILLIPS, 2010, #66]

Or, dans un tel contexte papier, la hiérarchie entre la preuve primaire et secondaire était facile à comprendre. Reproduire un document se faisait difficilement alors que désormais il est souvent difficile de faire la distinction entre deux copies ou entre un « original » de fait et une copie [PHILLIPS, 2010, #65]. Tout est original ou tout est copie : les deux acceptions fonctionnent, les documents étant globalement identiques :

« electronic copies are usually bit-for-bit identical with an earlier version. There is no advantage in comparing an earlier to a later, as there is with a paper document, where alterations to the original are more readily detected than to a copy. » [GREGORY, 2007, #68]

Les technologies de l’information se jouent de la différence entre copie et original [GOBERT + MONTERO, 2001, #127]. Et par voie de conséquence de la hiérarchie qui y est associée.

B – importance grandissante de la force probante des preuves secondaires

[9] Aussi, c’est avec une certaine logique que face aux doutes associés à la pertinence de la règle en matière d’admissibilité, l’on souhaite limiter la règle à sa force probante :

« en Angleterre, selon un courant doctrinal et jurisprudentiel nouveau, la recevabilité d'une preuve secondaire du contenu d'un document dépendra aujourd'hui de sa valeur probante » [ROYER + LAVALLÉE, 2008, #1249].

De plusieurs de considérer donc que

« le législateur a déplacé la règle de la meilleure preuve de la nécessité de l'originalité à la nécessité de l'authenticité. »  [DE SAINT EXUPÉRY, 2012, #55]

se contentant ainsi du fait que la preuve offerte soit

« la plus parfaite et complète possible ; la règle de la meilleure preuve vise la fiabilité de la preuve offerte » [TESSIER + DUPUIS, 2012, #227].

D’ailleurs, dans la décision Sécurité des Deux-Rives c. Groupe Méridian Construction Restauration [2013 QCCQ 1301] , le juge Massol ne fait que cela : chercher l’authenticité du courriel en cause ; en l’occurrence, face à l’absence d’un minimum de diligence pour ce faire, il va refuser le document sur la base du non respect de la règle de la nécessité de l’original.

« En un mot, la règle de la meilleure preuve, veut dire qu'on ne doit pas faire une preuve qui, à sa face même, laisse voir que la partie pourrait recourir à une autre source d'information plus satisfaisante, plus digne de confiance en elle-même. » [LANGELIER, 1895, #238]

[10] Mais il y a plus ; l’analyse quant à la présence de l’original doit passer aussi par l’article 12 de la Loi. Et un document qui doit répondre à l’exigence de l’article 2860 C.c.Q. correspond à la première hypothèse de l’article 12, à savoir, la source première d’une reproduction. Sans aller dans le détail de cette disposition que nous envisagerons dans le paragraphe suivant, sur la base de l’équivalence fonctionnelle [Équivalence fonctionnelle], il nous semble que les attributs à respecter sont assez simples : l’intégrité est expressément mentionnée dans cette disposition. Quant au lien avec l’auteur, il existe dans les articles référant au procédé de preuve en cause ; en l’occurrence dans le type d’écrit prévu dans le C.c.Q. Ces deux composantes, nous l’avons vu, sont en fait le respect de la condition d’authenticité qui comprend ces deux notions [Authenticité]. On se trouve donc dans une situation qui pourrait déranger quelque peu dans la mesure où il y aurait une assimilation complète en terme de fonctions à respecter entre l’écrit et l’original. Néanmoins, sans doute n’est ce pas le cas. Car si le document qui correspond à l’original ne l’est pas tout à fait, il peut donc être considéré comme une copie qui de ce fait réclame une certification telle que prévue à l’article 2842 C.c.Q. [Article 2842].

2 – Généralités autour de l’article 12 L.c.c.j.t.i.

[11] L’article 12 de la Loi est une disposition qui a choisi de ne pas aborder l’original de front [Article 12] ; de ne pas le définir [POULIN + TRUDEL, 2001] en évoquant plutôt qu’un « document technologique peut remplir les fonctions d’un original ». Davantage, cette courte phrase nous amène à proposer trois commentaires préalables quant à la « stratégie » qui paraît avoir été choisie par le législateur pour rédiger cet article. En premier lieu, il semble implicitement reconnaître que l’original est associé au papier. En effet, si le concept s’est élaboré à une époque où la preuve papier régnait en maître, cette disposition exerce un travail de « raccommodage » [GAUTRAIS, 2002, #110] en établissant une fiction [BERGEL, 2001, #74] selon laquelle un original peut être technologique. Il importe de noter que ce lien fort entre original et papier, tout comme écrit et papier, n’est pas reconnu par tous. Gilles de Saint-Exupéry dans son mémoire de maîtrise [DE SAINT EXUPÉRY, 2012, #13] base beaucoup son analyse sur « l’école belge » qui considère que les deux ne sont pas indissociables.

« On lui cherche dès lors des qualités fonctionnelles (lisibilité, inaltérabilité, stabilité) qui le rendent apte à servir au plan probatoire, alors qu’elles n’appartiennent aucunement à l’essence de la notion. En réalité, certaines de ces qualités sont inhérentes, non à l’écrit, mais au papier, qui était le support traditionnel de l’écrit. La juste attribution des fonctions remplies respectivement par le papier, l’écrit, voire la signature, constitue l’un des points névralgiques de toute réflexion sur l’adaptation du droit de la preuve aux nouvelles technologies. » [GOBERT + MONTERO, 2001, #122]

Avec égard, nous ressentons quelques doutes quant à cette approche. En effet, l’original, comme condition formelle ou probatoire, est une « contrainte » que l’on a élaborée en fonction du papier. L’original « original » est un original papier. Aussi, il nous semble difficile de dissocier le concept du support. D’ailleurs, la Loi ne le fait pas et c’est la raison pour laquelle l’article 12 commence en ne le définissant pas mais davantage en permettant plus modestement qu’un original technologique existe. Cette tentative de « dialyse » (entendons ce « procédé chimique utilisé pour séparer les corps » [GAUTRAIS + MOYSE, 1996, #9]) nous apparaît donc difficile à suivre. Lorsqu’une loi demande qu’un original soit produit, cette exigence a évidemment été établie à un moment où un papier était sous-entendu. Même aujourd’hui, si une nouvelle disposition impose cette formalité, c’est pour satisfaire une exigence équivalente à ce que l’original papier apportait, conformément à la notion d’équivalence fonctionnelle précitée.
[12] En deuxième lieu, et non sans lien avec le premier point, comme les articles qui précédent l’article 12 [Article 7] [Article 9] [Article 10] [Article 11], la Loi souhaite faciliter la mise en preuve des documents technologiques.

« Ainsi, règle générale, l’article 12 a une fonction permissive qui, comme l’économie générale de la loi, vise à faciliter et non à freiner l’usage de documents technologiques dans nos palais de justice. » [PHILLIPS, 2010, #187]

On veut avec cette disposition, un peu comme à l’article 5, éviter qu’un document ne soit mis de côté sur la seule base que sa condition d’original n’est pas satisfaite [Sécurité des Deux-Rives ltée c. Groupe Meridian construction restauration inc., #45]. Plusieurs décisions font d’ailleurs de l’évitement afin de contourner la question de l’original, afin que celui-ci ne soit pas un empêchement à l’utilisation d’un document [Vandal c. Salvas ; Intercontinental Corporate Technology Services Ltd. c. Bombardier inc. ; Lévy c. Lévy, #70].
[13] En troisième lieu, et peut-être surtout, le terme de « fonctions » conditionne la méthodologie choisie par le législateur qui gère le passage du papier vers le numérique. Par ce terme, une fois de plus, que l’on trouve dès l’article 1, la Loi met en avant l’équivalence fonctionnelle tant comme méthode de rédaction que d’interprétation de la Loi [Équivalence fonctionnelle].
[14] Une méthode qui est assurément salutaire, et ce, même si son application à l’original est tout sauf aisée. D’abord, il est possible de constater que si plusieurs juridictions ont choisi cette approche pour que l’on puisse disposer d’originaux technologiques, bien peu s’accordent quant à la manière d’y parvenir. Par exemple, alors que l’article 12 de la Loi prévoit trois fonctions distinctes, la CNUDCI n’en identifie qu’une seule [CNUDCI, 2005, #9.4] tout comme le droit français, mais malgré tout de manière différente aussi, nous le verrons plus tard. Ensuite, il n’est pas toujours facile de savoir des trois fonctions celle que le législateur a souhaité voir appliquer. Très souvent, la loi est silencieuse sur la raison qui motiva l’utilisation de cette condition formelle [GAUTRAIS + GINGRAS, 2010, #267]. Avant d’évaluer les conditions de réalisation de l’original, cette quête fonctionnelle doit donc être effectuée ; une question de faits. [DUCHARME, 2005, #497]

3 – Fonctions de l’original

[15] Deux fois plutôt qu’une, l’article 12 de la Loi réfère à la notion de « fin », de « fonctions » [Article 12]. Si l’expression « [à] cette fin » semble référer à la capacité du document technologique d’être un original, ce premier paragraphe se termine avec une nouvelle fois la référence aux fonctions que l’original est susceptible de satisfaire. Une énumération de trois de ces fonctions caractérise l’article 12.

A – Source première

[16] La première fonction que peut remplir un document technologique original est celle d’être « la source première d'une reproduction » [Article 12]. On retrouve dans cette fonction, non seulement l'étymologie de la notion d'original [DE SAINT EXUPÉRY, 2012, #5], à savoir le caractère primitif d'un document [MARSEILLE + LESCOP, 2008, #8], mais aussi le principe qui sous-tend la règle de la meilleure preuve [GAUTRAIS + GINGRAS, 2010, #267]. Par cette fonction, on oppose l’original à la copie qui constitue une preuve secondaire . C’est d’ailleurs par cette opposition que plusieurs auteurs ont d’ailleurs défini cette notion [CORNU, 2011] .
[17] Cette première fonction qu’un original est susceptible de remplir correspond donc à celle que l’on retrouve à 2860 C.c.Q., et ce, même si certains doutent que cela soit le cas [PHILLIPS, 2010, #187]. Selon nous en effet, la raison pour laquelle la règle de la nécessité de l’original s’impose est que l’on porte plus de crédit à l’original qu’à une copie. En revanche, comme nous l’avons vu un peu plus tôt, le problème est que l’on peut douter que la copie numérique soit moins « fiable » que son original, forcément numérique aussi. Si l’original papier l’est davantage que sa copie, conformément à une règle de prudence ancestrale [NADEAU + DUCHARME, 1965, #349] il n’en est pas forcément de même pour le numérique. En fait, cela nous ramène à la difficulté à déterminer ce qui, techniquement, est l’original et ce qui est la copie. Mais plutôt que de répondre à cette question, derrière cette fonction de source première, il importe davantage, comme vu plus tôt, de mesurer la diligence avec laquelle celui qui veut invoquer un écrit présente sa preuve [Stanford International Bank Ltd. (Syndic de), #18].
[18] Parmi les solutions technologiques qui pourraient être utilisées pour faire état de cette application, de cette diligence, il y a évidemment une documentation étayée décrivant les modalités selon lequel le document est géré. Non sans lien, il y a aussi un système d’horodation qui permet de déterminer ainsi le document source et ceux qui furent générés après, et ce, en conformité avec une décision de la Cour de cassation française qui semblait aller dans ce sens . Même si les juges sont assez favorables à la reconnaissance des technologies, il faut donc être en mesure de prouver les modalités de création et de conservation du document allégué. À titre d’exemple, la simple télécopie d’un courriel dans la décision Sécurité des Deux-Rives c. Groupe Méridian Construction Restauration [Sécurité des Deux-Rives ltée c. Groupe Meridian construction restauration inc.], n’est pas jugée comme suffisante, d’autant que la partie ne semble pas s’être beaucoup forcée à étayer ses prétentions probatoires.

« [81] À défaut de remplir les exigences de ces articles (divulgation des détails entourant la confection de la copie, certification, etc.), la défenderesse aurait dû, à tout le moins, faire témoigner l'auteur du document original (le courriel) et celui qui en a tiré une copie » [2013 QCCQ 1301, par 81].

[19] Pour l'original dont la fonction est d'être « la source première d'un document », la Loi prévoit trois conditions cumulatives. La première est bien évidemment de respecter l’intégrité du document ; cette évidence tient au fait que la Loi a pris le soin de centrer son analyse sur ce concept [Article 5; 2838 C.c.Q]. Une intégrité qui prévaut d’ailleurs tout autant dans la Convention de la CNUDCI de 2005 qui traite de l’original [CNUDCI, 2005, #9.4] que dans les lois canadiennes qui se basèrent en grande partie sur cette première . On la trouve aussi dans la référence qui existe en droit français à l’article 1325 C.c.f. (à travers l‘article 1316-1 C.c.f.) [Article 1325 C.c.f; 1316-1 C.c.f]. L’intégrité est donc la condition universelle à tout original, quelle que soit sa fonction. Cette condition s’impose forcément dans la mesure où elle l’était déjà pour le document, notion plus large et qui comprend l’original [Article 3]. Elle s’impose aussi dans la mesure où l’original correspond à la « meilleure preuve » alors que celui-ci est généralement considéré comme un document présentant un gage de « fiabilité » ; plus exactement d’ « authenticité » [DE SAINT EXUPÉRY, 2012, #56]. C’est la raison pour laquelle, un lien existe sans doute entre l’original et la première fonction de l’article 12 mais il est peut-être encore plus présent avec la troisième, cette dernière ajoutant expressément un lien avec l’auteur d’un document.

« L'original est un document qui a conservé son intégrité. Les raisons pour lesquelles les règles en matière de preuve exigent souvent la présentation d'un original découlent de cette caractéristique. L'original est un document considéré comme présentant de meilleures garanties de fiabilité. » [POULIN + TRUDEL, 2001]

La deuxième condition est qu’il faut conserver « les composantes du document source ». Or un document est constitué de deux composantes essentielles que sont l'information et son support ; deux composantes auxquelles il faut ajouter la technologie, c’est-à-dire le format ou le logiciel selon les appellations, et qui est nécessaire à la lisibilité du document . Selon une lecture exégétique, les trois éléments devraient donc être conservés. S’il est logique que la première composante doive l’être car l'information donne véritablement la raison d’être au document, il est en revanche étonnant pour certains, et à juste titre, que la Loi impose que l’on conserve aussi le support voire la technologie [DE SAINT EXUPÉRY, 2012, #90-91]. Plus loin, ce même auteur affirme aussi :

« Une application pratique de cette fonction nous conduit donc à croire qu'un tel original ne sera jamais produit en Cour et que cela sera plutôt sa reproduction qui le sera puisque bien souvent la composante matérielle originelle du document sera difficile à transporter (disque dur de l’ordinateur, serveur) et donc à conserver. Cette fonction qui nous paraissait être en théorie la plus proche de la définition que nous avons donné de l'original semble poser de sérieux problèmes d'application pratique et même contredire certaines caractéristiques du document technologique. » [DE SAINT EXUPÉRY, 2012, #91]

[20] Peut-être qu’un moyen de comprendre cette disposition est d’envisager le verbe « conserver » avec une certaine souplesse ; de celle que l’on retrouve à l’article 19 qui définit la notion de la façon suivante :

« 19. Toute personne doit, pendant la période où elle est tenue de conserver un document, assurer le maintien de son intégrité et voir à la disponibilité du matériel qui permet de le rendre accessible et intelligible et de l'utiliser aux fins auxquelles il est destiné. » (Nos soulignements)

[21] Ainsi, quand vient le temps d’interpréter cette exigence de conservation, il n’y a sans doute pas lieu de croire que l’original implique un support lui-même original. Davantage, il importe de disposer du matériel qui permet de rendre le document accessible. Le terme « matériel » n’est évidemment pas défini dans la Loi ; il est d’ailleurs utilisé uniquement à l’article 19. Il pourrait en revanche très bien comprendre tant le support que la technologie qui sont nécessaires au document. À titre d’exemple, dans la décision Lefebvre c. Giraldeau, un agenda est produit dix ans après les faits en litige, et ce, parce que le logiciel (la technologie) venait d’être retrouvé [Lefebvre Frères ltée c. Giraldeau]. Même si cette affaire ne traitait pas à proprement parler de l’original, il serait possible de croire que l’agenda pourrait être considéré comme tel dès lors que le document employé est accessible de façon intelligible. La production d’un original n’impliquerait donc pas forcément que le support ou la technologie soient eux-mêmes ceux qui ont été utilisés initialement.
[22] En troisième et dernier lieu, l’article 12 de la Loi mentionne que l’original doit relativement à cette première fonction s’assurer qu’il puisse être utilisé pour « référence ultérieure » ; une notion qui est bien connue quand vient le temps de s’intéresser à la notion d’écrit . De l’écrit en tant que moyen de preuve qui est différent du témoignage et de l’élément matériel . En effet, la raison d’être d’un écrit est de gérer le futur, les parties à un contrat par exemple prenant le soin de rédiger un document afin d’encadrer leur relation pour les années à venir . Cette première fonction de l’original se comprend donc dans cette optique : un original est un document d’une certaine facture qui permet de donner force à un écrit. Une fonction qui rappelons-le est en lien avec la règle de la meilleure preuve qui vaut uniquement pour les écrits, qu’ils soient instrumentaires ou non.

B – Caractère unique

[23] La deuxième fonction que peut remplir un document technologique original est de « présenter un caractère unique » [Article 12]. Concrètement cette fonction fait notamment référence au connaissement maritime ou au chèque où la négociabilité était autrefois grandement associée à son unicité [GAUTRAIS + GINGRAS, 2010, #267; POULIN + TRUDEL, 2001]. On peut l’associer aussi à certains actes notariés qui se doivent de l’être [Loi sur le notariat, article 35]. Une unicité que certains associent au papier davantage qu’à l’original lui-même [GOBERT + MONTERO, 2001, #122; DE SAINT EXUPÉRY, 2012]. Encore une fois, conformément aux propos tenus plus tôt, qu’importe ; le législateur impose parfois un original où la fonction d’unicité doit être remplie. Dans la mesure ou l’article 12 ne souhaite pas définir l’original mais seulement opérer une passerelle entre le monde papier et le monde numérique, il faut donc identifier les critères que la Loi impose et vérifier s’ils sont réunis dans le cas d’espèce. Ceci étant dit, l’original n’est pas unique par nature et cela dépend donc de la loi qui impose cette formalité. Comme pour les autres fonctions, il importe donc au préalable de déterminer la fonction concernée, ce qui est une question de fait [DUCHARME, 2005, #497]. Une question de fait que l’on trouve d’ailleurs assez rarement dans les lois, cette fonction de l’original demeurant la moins fréquente.
[24] Outre l’intégrité qui demeure, nous l’avons vu sous la fonction précédente, une condition systématique pour tous les originaux , l’original « unique » doit présenter un certain nombre de critère afin qu’il puisse satisfaire à cette fonction. D’abord, et même si la Loi semble proposer une distinction entre « composantes » et « support », (le support étant, nous l’avons vu, une des trois composantes principales du document ), il ressort de ce deuxième paragraphe la même obligation que dans le précédent de s’intéresser à la qualité de ceux-ci pour que l’original remplissant la fonction d’unicité soit reconnu. Ainsi, l’unicité de l’original va donc dépendre des modalités autour de l’information, du support, des technologies et de la manière dont ils sont utilisés pour que le document original respecte cette fonction.
[25] Ensuite, et comme dans plusieurs autres endroits dans la Loi, l’accent est mis sur la notion de « structure » qui vient suppléer à la disparition du support physique. En effet, cette notion que l’on retrouve à plusieurs reprises dans la Loi [Article 3 et 4], origine de la biblioéconomie et est considérée comme un élément nécessaire du document technologique . Cette référence à la structure est sans doute à relier avec la notion, là encore bien peu juridique, « d’éléments structurants » qui est évoquée à l’occasion dans la Loi [Article 4 et 17].

« L'élément structurant délimite l'information et renseigne sur la nature et l'organisation d'un document. La notion de document exposée à l'article 4 prévoit qu'un document forme un tout même si ses fragments sont disséminés lorsque des « éléments logiques structurants » fournissent l'information nécessaire pour en relier les fragments et assurer leur intégrité ainsi que celle du document reconstitué. » [POULIN + TRUDEL, 2001]

De façon plus concrète, il nous semble que ce concept nous permet d’inclure les métadonnées qui sont attachées à un document . Des métadonnées qui pourraient parfaitement être un moyen « d’affirmer le caractère unique du document ». Des métadonnées qui seraient assurément une des composantes fort utile en l’espèce pour identifier cette fonction.
[26] D’ailleurs, enfin, la Loi se veut très inclusive quant au moyen pour respecter cette fonction. Si elle réfère à un procédé « technique » qui puisse y satisfaire, par le biais de l’expression quel que peu déroutante de « composante exclusive ou distinctive ou par l’exclusion de toute forme de reproduction », l’adverbe « notamment » traduit bien cette souplesse pour y parvenir. D’ailleurs, au-delà d’un moyen technique, il est tout à fait envisageable que l’unicité soit satisfaite par un moyen plus documentaire explicitant la gestion du document à ce sujet. L’alinéa in fine de cette disposition mentionne d’ailleurs d’éventuelles normes techniques qui pourraient montrer comment y parvenir. La Loi a donc opté pour un « botté en touche » en laissant le choix de la précision technique ou documentaire à un autre niveau que celui de la Loi, et ce, pour les deux derniers paragraphes. Si la manière de faire se comprend bien, afin de ne pas rendre la Loi trop complexe, trop précise, un doute existe quant au caractère obligatoire que l’on doit apporter au verbe « devoir ». En effet, si les normes techniques sont assurément d’intérêt dans bon nombre de situations, le fait de les considérer comme obligatoires aurait un effet très problématique eu égard à la faveur qui est selon nous associée à cet article [DE SAINT EXUPÉRY, 2012, #93-94].
[27] On ne voit donc pas comment la dernière portion de l’article 12 pourrait être interprétée avec rigueur [Article 12]. C’est d’ailleurs l’approche qui semble avoir été prise dans Sécurité des Deux-Rives c. Groupe Méridian Construction Restauration [Sécurité des Deux-Rives ltée c. Groupe Meridian construction restauration inc.,], où ce n’est pas tant l’absence de l’original qui va être utilisée pour refuser le transfert papier du courriel mais bien l’absence de diligence dans la manière de présenter la preuve et notamment sa reproduction [Sécurité des Deux-Rives ltée c. Groupe Meridian construction restauration inc., #77, 82, 83]. Et puis ce serait contraire à l’économie de l’article 2860 C.c.Q., qui est quand même l’une des dispositions les plus significatives en matière de nécessité de l’original, que de déployer une rigueur importante pour l’original mais tolérer une souplesse pour une copie [Article 15] ou un transfert [Article 17] qui légalement en tient lieu.

C – Forme première d’un document reliée à une personne

[28] La troisième fonction que peut remplir un document technologique original est, conformément au troisième alinéa de cet article 12, celle d’être « la forme première d'un document reliée à une personne » [Article 12]. Cette fonction est assez proche de celle du premier paragraphe, et ce, même si on parle ici de la « forme première » alors que le premier évoquait plutôt l’expression de « source première ». Il ne semble pas qu’il faille faire une distinction entre les deux. En revanche, il y a clairement un ajout quant au lien avec une personne. Dans ce troisième paragraphe, il apparaît clairement que l’original doit être associé à une personne, morale ou physique, et ce, sans que cela soit forcément par le biais d’une signature. Nous avons vu que dans certains pays, comme en France , l’original implique une signature d’une ou plusieurs personnes. Au Québec, ce n’est pas le cas. D’une part, il peut ne pas y avoir de lien avec une personne (voir les paragraphes 1 et 2) et, d’autre part, le lien avec une personne peut se faire autrement que par une signature. Ainsi, les originaux répondant à ce troisième paragraphe pourraient correspondre aux situations suivantes :

Comme pour la première fonction, il semble clairement qu’il existe un lien avec ce troisième paragraphe et la règle de la meilleure preuve, ces originaux étant considérés comme de « meilleure qualité », source d’une plus grande crédibilité. D’ailleurs, la ressemblance est telle que nous croyons que les hypothèses d’originaux correspondant au premier paragraphe sont pour le moins rares. En effet, la quasi-totalité des documents habituellement mis en preuve sont associés à une personne, que le document ait été signé ou non. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que preuve doit être faite de l’authenticité des documents, à savoir, un cumul de l’intégrité et du lien avec son auteur . Éventuellement, situation assez rare, le premier paragraphe pourrait correspondre à une lettre anonyme. Ceci montre seulement qu’en matière de preuve, et de règle de la meilleure preuve tel que prévu à l’article 2860 C.c.Q., c’est surtout à ce troisième paragraphe que, selon nous, l’original verra à s’appliquer.

[29] Sinon, les remarques qui peuvent être faites relativement aux conditions à satisfaire pour l’original du présent paragraphe sont assez proches de celles s’appliquant au deuxième, la formulation de la phrase étant presque identique. Ainsi, la Loi s’en remet à la technique en référant à un procédé qui reste à définir, notamment dans le cadre d’une norme. Néanmoins, quatre remarques peuvent être proposés : en premier lieu, nous ne sommes pas sûr de bien comprendre la référence au caractère unique du document, comme au paragraphe 2. S’il se comprenait bien dans les hypothèses des chèques ou des connaissements maritimes par exemple, il est plus difficile de le concevoir dans le cadre des hypothèses précitées [DE SAINT EXUPÉRY, 2012, #92-93]. Du moins, elle ne nous apparaît pas systématiquement requise. En deuxième lieu, la référence à l’identification de la personne et du lien avec le document réfère selon nous aux articles 38 et suivants de la Loi [Article 38]. Or, si la signature est le procédé le plus communément utilisé pour faire un lien entre une personne et un document, il n’est pas le seul. La signature, qui apparaît dans la Loi à l’article 39, est donc potentiellement concurrencé par des moyens tels que la certification , des données biométriques , voire un papier entête d’une personne morale ; procédés qui peuvent ne pas correspondre aux critères de la signature de 2827 C.c.Q. Cette notion de lien entre une personne et un document fait en effet l’objet d’un chapitre entier dont l’une des sections, la section 3, réfère au procédé de la certification [TRUDEL, 2012, #134-163]. Ce traitement particulier que la Loi fait à cette dernière ne la rend pas pour autant obligatoire afin que la fonction de l’alinéa 3 soit réalisée. Elle constitue néanmoins une solution utile, très fiable, et ce, même si le procédé n’a pas livré les espérances qu’on lui portait au début des années 2000. Également, et comme mentionné précédemment, ce lien n’est pas obligatoirement fait par le biais d’une signature. Si cette dernière constitue soit une obligation (testament , acte sous seing privé , etc.), soit une pratique pour le moins courante, il est donc possible de lier un document avec une personne autrement. En troisième lieu, l’alinéa 3 de l’article 12 prend le soin de préciser que le lien doit être établi durant tout le cycle de vie du document. En dernier lieu, la fonction de ce paragraphe est associée aux normes et standards qui ne manquent pas d’exister en la matière et notamment en ce qui a trait au lien entre un document et une personne. En effet, de très nombreuses normes ont été élaborées notamment quant aux règles de certification. La Loi n’a donc pas d’autres choix, face à la multiplicité et la technicité de celles-ci, que de « botter en touche » en référant à des standards techniques comme le montre le paragraphe in fine.


Dernière modification : le 1 mai 2012 à 9 h 18 min.