Étudiants du cours DRT6903 19 novembre 2012 Écrit, LCCJTI.ca

Pascal Marchi est étudiant dans le cadre du cours DRT 6903 (Prof. Vincent Gautrais).

Le 12 octobre dernier, nous discutions sur ce blogue du jugement rendu par la Cour supérieure dans l’affaire Bellemore (Succession de) à propos de l’exigence d’écriture manuscrite du testament olographe. Brièvement, dans cette décision, la Cour refusait de reconnaître la validité d’un testament olographe rédigé à l’ordinateur et signé de la main du testateur, appliquant ainsi la règle de l’article 726 CCQ.  Or, une récente décision de la Cour supérieure, dans l’affaire Gendreau c. Laferrière, semble remettre en cause ce principe pourtant bien établi en admettant la validité d’un tel testament. Cette décision a été portée à notre attention par Me Karim Renno, du blogue juridique À bon droit, que nous remercions.

Les faits de cette nouvelle affaire sont simples : devenu veuf le 7 avril 2005, le de cujus, M. Laferrière, contracte un nouveau mariage à Cuba le 28 octobre 2005, où il décidera par la suite de s’installer avec sa nouvelle épouse, citoyenne cubaine. Entre temps, le 10 mai 2005, M. Laferrière produit un testament devant le notaire Bilodeau. Or, le 10 février 2006, M. Laferrière aurait signé un document imprimé contenant de nouvelles dispositions testamentaires, avec la mention suivante :

À ATTACHER À MON TESTAMENT.
COPIE DE CE DERNIER SE TROUVE
À L’ÉTUDE DU NOTAIRE MARIO BILODEAU
À MONTMAGNY.

RÉDIGÉ LE 14 FÉVRIER 2006

Ce document parvient au notaire Bilodeau, qui l’annexe au testament du 10 mai 2005, malgré son apparent défaut de forme. La question soumise au tribunal est donc la suivante : le document imprimé signé le 10 février 2006 contient-il des dispositions testamentaires valides?

Le droit applicable en matière de testament olographe

Par définition, un testament olographe doit d’être rédigé entièrement de la main du testateur, comme le confirme l’article 726:

726. Le testament olographe doit être entièrement écrit par le testateur et signé par lui, autrement que par un moyen technique.

Il n’est assujetti à aucune autre forme.

La règle est claire. Néanmoins, lors de la codification de 1994, le législateur a prévu, à l‘article 714, la possibilité pour le tribunal de valider un testament qui ne satisfait entièrement les conditions de forme requises :

714. Le testament olographe ou devant témoins qui ne satisfait pas pleinement aux conditions requises par sa forme vaut néanmoins s’il y satisfait pour l’essentiel et s’il contient de façon certaine et non équivoque les dernières volontés du défunt.

Comme en témoignent les Commentaires du ministre de la Justice, cette règle de droit nouveau vise à favoriser le respect de la volonté du testateur dans les cas où cette volonté peut être déterminée de façon certaine autrement que par les formalités ordinairement requises.

Dans l’arrêt Groleau-Roberge, de 1999, la Cour d’appel énonce les conditions nécessaires à validation d’un testament imparfait en vertu de l’article 714 C.c.Q. :

« (1) Le testament satisfait aux conditions requises mais pas pleinement; (2) Le testament, même avec l’imperfection, satisfait aux conditions essentielles; (3) Il est établi que le testament contient de façon certaine et non équivoque les dernières volontés du défunt. »

On devine donc que les litiges tournent souvent autour de la distinction entre les conditions de forme essentielles et non essentielles. Par ailleurs, dans le cas où la condition de forme non essentielle qui n’est pas respectée est l’une de celles qui sert à assurer que le testament contient les dernières volontés du défunt, il semble qu’une preuve supplémentaire devra être apportée afin de respecter le troisième critère.

Comment interpréter la décision Gendreau c. Laferrière?

Revenons à l’affaire Gendreau c. Laferrière. Le défunt, M. Laferrière, aurait donc signé de sa main un document, supposément rédigé par lui-même à l’aide d’un ordinateur. À la lumière de la jurisprudence traditionnelle, nous aurions pu nous attendre à ce que la juge conclut à l’absence d’une condition essentielle (l’écriture manuscrite) et rejette carrément le testament. Or, elle en a décidé autrement. Comment interpréter cette décision?

Suivant le raisonnement de la juge Tessier-Couture, il est donc possible que la rédaction par le testateur lui-même (sans égard au moyen employé) constitue toujours une condition essentielle à la validité du testament olographe, mais que la rédaction manuscrite soit une condition de forme non essentielle, d’où l’application de l’.. Le problème qui se pose alors est le suivant : puisque la rédaction manuscrite est précisément le moyen choisi par le législateur pour s’assurer de l’authenticité du testament olographe, comment prouver celle du testament imprimé?

Heureusement, ici, les faits de l’affaire ont fourni à la juge trois éléments circonstanciels permettant de confirmer, non seulement la rédaction par le testateur, mais également le fait qu’il s’agissait bien de ses volontés :

1) Selon le témoignage de Mme Christiane Lemaire et de la fille de M. Laferrière, ce dernier était familier avec les outils informatiques, qu’il utilisait couramment (paragraphes 55 et suivants) 2) M. Laferrière aurait confié à Mme Christiane Lemaire, qui s’occupait de ses affaires au Canada, sa volonté de léguer ses biens à son épouse cubaine (corroboration du contenu du testament; paragraphe 40). 3) M. Laferrière a fait traduire en langue espagnole le document litigieux et signé la version espagnole, selon l’affidavit produit par la traductrice Mme Mariella Diaz (paragraphe 54).

Il semble que ces éléments de preuve aient permis à la juge de conclure que M. Laferrière avait lui-même rédigé le document, et que celui-ci contenait de façon certaine et non équivoque l’expression de ses dernières volontés :

[67]L’ensemble de la preuve révèle une préoccupation certaine de ce dernier visant à ce que le document du 14 février 2006 soit lu, compris et respecté. Il l’a fait traduire et a obtenu un certificat relatif à cette traduction. Il a transmis le tout au notaire ayant reçu son testament notarié pour s’assurer que ses dernières volontés soient respectées.

Que faut-il en conclure? Premièrement, la validation d’un testament non conforme, en vertu de l’article 714 C.c.Q., demeure une mesure d’exception. En effet, c’est un concours de circonstances tout à fait exceptionnel qui a permis de rassembler des faits permettant de prouver l’authenticité du testament olographe dans cette affaire.

Deuxièmement, il est toujours préférable de respecter les conditions de forme imposées par loi, voir même de procéder par testament notarié, afin d’éviter des litiges futurs.

Finalement, il reste à souhaiter que la Cour d’appel aura l’occasion de clarifier la distinction entre les conditions de forme essentielles et non essentielles du testament olographe… à moins qu’elle ne décide tout simplement d’abandonner cette distinction, pour autant qu’une preuve suffisamment convaincante permette d’établir l’authenticité du testament?