Résumé

 

«La signature électronique sur l'original d'une procédure judiciaire est-elle valable ?»

Les avocats du demandeur ont déposé au greffe plusieurs documents en vue d’une inscription de leur cause pour enquête et audition le dernier jour avant l’expiration du délai prévu à cet effet. Ces documents portaient la signature électronique (selon nos informations, et malgré le silence dans la décision, il semble que la signature dans cette affaire portait sur une image numérique de la signature manuscrite) de l’avocat demandeur et le greffier refuse à ce titre d’enregistrer la demande car la signature ne respecte pas les exigences légales selon lui. L’avocat du demandeur conteste un tel refus de la part du greffier au motif que sa signature, même au format électronique, respecte les exigences prévues par les différentes loi et règlements. Le tribunal va déclarer comme régulièrement produits les documents portant la signature électronique de l’avocat, car le Code de procédure civile (Art. 76 à 93.1), le Règlement de la Cour du Québec (Art. 20 et 21), ainsi que l’article 2827 C.c.Q. et 39 de la Loi permettent une interprétation large de la notion de signature. Ainsi le greffier aurait dû accepter la demande d’inscription faite par l’avocat du demandeur.

 

La signature électronique sur l'original d'une procédure judiciaire est-elle valable ?

La date limite pour l'inscription de cette cause était le 14 mars 2011 vu l'expiration du délai de 180 jours.

Le 14 mars 2011, les avocats du demandeur déposent au greffe la réponse, l'inscription pour enquête et audition, la déclaration (274.1 C.p.c.) ainsi que plusieurs avis de dépôt de déclarations écrites pour valoir témoignage (294.1 C.p.c.). Chaque document porte la signature électronique de l'avocat du demandeur, « Charbonneau, Avocats conseils » et ils ont préalablement été signifiés au procureur de la défenderesse.

Le greffier ignore l'inscription pour enquête et audition et la déclaration (274.1 C.p.c.) au motif que l'original de ces procédures porte une signature électronique. Quant à l'ensemble des autres procédures, elles sont enregistrées au plumitif.

Les articles 76 à 93.1 du Code de procédure civile (C.p.c.) établissent les règles générales relatives à la procédure écrite. Aucun article n'impose d'apposer sa signature sur l'acte de procédure, sauf si la partie ou son procureur transmet par télécopieur un acte de procédure, une pièce ou un autre document à un huissier, un avocat ou un notaire. Dans ces situations, les signatures et les formalités suivantes sont exigées :

  1. […] La personne choisie comme correspondant prépare des copies du fac-similé de ce document et une attestation d'authenticité de ces copies, qui sont présumées être des originaux à des fins de notification, de signification, de dépôt au greffe ou de preuve.La signature de l'avocat, du notaire ou de l'huissier de justice suffit pour attester l'authenticité du document ainsi transmis.

L'attestation d'authenticité doit préciser que les copies sont conformes au fac-similé reçu par télécopieur, et indiquer la nature du document, le numéro de la cour, le nom de l'expéditeur et le numéro du télécopieur émetteur, de même que les lieu, date et heure de transmission. [nos soulignements]

C'est plutôt au Règlement de la Cour du Québec[1] qu'on retrouve les exigences particulières à la procédure écrite :

  1. Tout acte de procédure doit être lisiblement écrit sur un côté seulement d'un papier dont le format est de 21,5 x 35,5, cm; l'endos doit en indiquer la nature, l'objet, le montant en litige, le numéro du dossier, le nom des parties, ainsi que le nom, l'adresse, le code postal, le numéro de téléphone, le numéro du télécopieur et le code informatique de l'avocat de la partie qui le produit.

Dans le cas où une partie se représente elle-même, la mention du code informatique de l'avocat et du numéro de télécopieur n'est pas requise.

  1. Tout acte de procédure d'une partie est signé par son avocat. Si cette partie n'est pas représentée par avocat, son acte de procédure est signé par elle-même.

Notre règlement impose que tout acte de procédure soit lisiblement écrit et rédigé sur un support papier et qu'il porte une signature.

L'article 2827 du Code civil du Québec (C.c.Q.) définit la signature en ces termes :

  1. La signature consiste dans l'apposition qu'une personnefait à un acte de son nom ou d'une marque qui lui est personnelle et qu'elle utilise de façon courante, pour manifester son consentement. [nos soulignements]

Les commentaires du ministre déposés lors de l'adoption du Code civil du Québec au sujet de cette disposition sont les suivants :

Cet article de droit nouveau définit la signature et complète aussi la définition de l'écrit sous seing privé. Cet article énonce que l'apposition de la marque utilisée comme signature doit être personnelle et utilisée de façon régulière; autrement, la preuve de l'authenticité de cette marque ou sa contestation deviendrait à toutes fins pratiques impossible à réaliser.

Cette définition est suffisamment large pour comprendre par exemple un numéro de code spécifique permettant d'identifier une personne en matière d'inscriptions informatisées; en effet, la signature ne correspond pas uniquement à l'écriture qu'une personne fait de son nom[2]. [nos soulignements]

Voici ce qu'en dit l'auteur Léo Ducharme dans son Précis de la preuve[3] :

  1. La définition de la signature contenue à l'article 2827C.c.Q. est suffisamment large pour s'appliquer également à la « signature électronique ou informatisée », c'est-à-dire à la marque apposée par une personne pour exprimer son consentement à un acte juridique constaté par un document technologique, c'est-à-dire, par un document sur un support faisant appel aux technologies de l'information. Afin d'éviter toute ambiguïté à ce sujet, la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information a modifié le texte de l'article 2827 C.c.Q. en remplaçant l'expression « l'apposition qu'une personne fait sur un acte » par l'expression « l'apposition qu'une personne fait à un acte ».

Le Code civil du Québec ne traite pas de la signature électronique. Par contre, la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information[4] spécifie :

  1. Quel que soit le support du document, la signature d'une personne peut servir à l'établissement d'un lien entre elle et un document. La signature peut être apposée au document au moyen de tout procédé qui permet de satisfaire aux exigences de l'article 2827duCode civil.

La signature, c'est une modalité permettant d'identifier un individu, une façon d'exprimer son consentement à un acte et d'assurer aux tiers que le signataire est bien l'auteur des documents ou de l'acte.

Le Tribunal conclut que la signature électronique d'un avocat sur une procédure est valable et que le greffe aurait dû accepter et noter au plumitif l'inscription et la déclaration (274.1 C.p.c.).

Il est possible que le refus du greffe soit associé à la crainte que l'acceptation de la signature électronique pose un danger de fraude, de contrefaçon et de fabrication de faux accru. L'avocat n'est pas à l'abri de ces risques, mais s'il en est victime, il pourra contester la signature (2828 C.c.Q.). Cependant, ce fait ou cette possibilité ne rend toutefois pas pour autant la signature électronique invalide.

De plus, l'utilisation de la signature électronique ne dispense pas l'avocat de respecter ses obligations professionnelles à l'égard des procédures qu'il rédige. Le fait qu'un employé puisse apposer la signature plutôt que l'avocat lui-même ne modifie pas sa responsabilité professionnelle.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

DÉCLARE comme régulièrement produites et comme étant des originaux, les procédures de réponse, d'inscription, de déclaration selon l'article 274.1 C.p.c. et d'avis sous l'article 294.1 C.p.c. qui ont été déposées au dossier de la Cour le 14 mars 2011;

FIXE l'appel de cette cause en priorité sur le rôle général du 22 juin 2012;

SANS FRAIS.


Dernière modification : le 12 janvier 2018 à 12 h 54 min.